Eglise romane de Tohogne

 - pêle-mêle

 (donateurs identifiés)

Ils vous regardent, ce sont vos ancêtres et pourtant vous ne les connaissez pas…

Un couple de donateurs identifiés en l’église Saint-Martin de Tohogne

(Ces peintures sont abîmées mais les visages sont parfaitement visibles : regardez-les en haut du 4e pilier nord.)

Nous vous en donnerons les noms après avoir rappelé l’histoire de leur redécouverte.

C’est en janvier 1975 que débuta la restauration de l’église Saint-Martin de Tohogne. Cela faisait de nombreuses années que ce temple réclamait une rénovation intérieure exhaustive tant son délabrement s’avérait général.

Les travaux s’étalèrent sur deux ans. Ils permirent la découverte, dans le vaisseau central, de peintures murales datant des XVIe et XVIIe siècles dissimulées sous plusieurs couches de badigeons et de couleurs.

Après sondages, on constata que ces peintures étaient fort vastes (elles couvrent l’entièreté de la grande nef, côté nord) et sans doute parmi les plus importantes de Wallonie.

En 1981, débutèrent les travaux de leur dégagement par M. Jacques Folville, restaurateur d’art. Elles se répartissent en trois registres distincts. Le registre supérieur est occupé par de grands personnages isolés, placés entre les fenêtres. Au registre médian, une série de vingt scènes se succèdent de façon ininterrompue. Et dans le registre inférieur, les sujets sont placés entre deux arcades dans les écoinçons.

Le registre inférieur se distingue des deux autres par sa technique et par son style. Il ne s’agit pas seulement de peinture en détrempe mais aussi de peinture à l’huile, utilisées conjointement. Ces différentes scènes (datant du premier tiers du XVIIe siècle), souvent fortement altérées, sont présentées suivant le même schéma : une tente de fantaisie, garnie de galons et de lambrequins, pourvue d’acrotères en bois tourné, s’ouvre largement pour montrer les personnages qu’elle abrite. Les tons dominant sont les ocres et les violacés.

Mais revenons au couple énigmatique.

Le couple de donateurs en prière représentés sous une tente de fantaisie (4e pilier nord, registre inférieur).

Le couple de donateurs en prière représentés sous une tente de fantaisie (4e pilier nord, registre inférieur).

Ce sont deux laïcs en prière, en haut du 4e pilier, côté nord : on les devine agenouillés sur des prie-Dieu de part et d’autre d’un Christ en croix massif et sanguinolent. Seuls leurs bustes apparaissent, le reste de leurs corps étant effacé à jamais. Ces personnages semblent prendre la pause : ils ne sont guère recueillis car ils regardent d’un œil pénétrant l’artiste qui les peint.

Lui : porte barbe et moustache. On distingue partiellement sa chevelure. Devant lui, un livre de messe est ouvert, posé sur une meuble dont on ne perçoit qu’un fragment, probablement un prie-Dieu recouvert d’un velours vert profond. Son visage, d’une grande finesse, laisse transparaître une forte autorité et une grande intelligence.

Elle : porte un collet fraisé. De sa coiffure, on ne distingue qu’une mèche sur le front. Son visage expressif, ses lèvres entrouvertes, son nez puissant lui confèrent une attitude sympathique.

Texte tronqué (lettres latines blanches sur fond noir) situé en bas de la scène.

Texte tronqué (lettres latines blanches sur fond noir) situé en bas de la scène.

Dans le bas de la composition, on peut encore lire un texte tronqué : …V… …V C… / …CHEVIN EN LA HAVL… …O… / DE DVRBVV : ET DAMLE BARBE D… / SOVHEV … (On devine plus la dernière ligne plus qu’on ne la lit.)

On pensait ne jamais les reconnaître.

Tableau votif intitulé (traduction du latin) : « Le triomphe de la Virginité de la très sainte Mère de Dieu la Vierge Marie » (Musée en Piconrue, Bastogne).

Tableau votif intitulé (traduction du latin) : « Le triomphe de la Virginité de la très sainte Mère de Dieu la Vierge Marie » (Musée en Piconrue, Bastogne).

C’est un tableau votif qui se trouvait autrefois en notre église qui nous a mis sur la piste. Depuis 1975, il est en dépôt au musée en Piconrue à Bastogne.

Sur ce tableau figurent les donateurs qui sont clairement identifiés : Jean du CHESNE, qui fut échevin et lieutenant-prévôt de la Haute Cour de Durbuy, et son épouse Marguerite Françoise DAWENNE (Dauvenne).

Détail de la pierre tombale de Jean du Chesne, au cimetière de Grandhan, représentant le blason des du Chesne de Marteau.

Détail de la pierre tombale de Jean du Chesne, au cimetière de Grandhan, représentant le blason des du Chesne de Marteau.

Il n’y a aucun doute en voyant y figurer le blason des du Chesne de Marteau : « de vair au sautoir de gueule brochant ». C’est, nous dit Paul de Borman, le blason des de Marteau de Petithan qu’on devrait trouver surchargé d’une « merlette » venant du blason des du Chesne.

Ce tableau fut offert à l’église de Tohogne lorsque le pasteur en était le frère de Jean, Guillaume du Chesne, curé de 1667 à 1697.

Continuons notre enquête.

Lorsque nous avons comparé ce tableau et notre peinture murale, des similitudes troublantes nous sont apparues : on y distingue des deux côtés un couple en prière, les mains jointes, en habits du XVIIe siècle ; les messieurs ont un air de famille, tandis que les dames sont affublées de collets fraisés presque identiques.

Voyez vous-mêmes :

En haut : les donateurs du tableau votif Jean du Chesne de Marteau et son épouse Marguerite Françoise Dauvenne ; en bas : les donateurs de la peinture murale : Servais du Chesne et son épouse Barbe de Sohey.

En haut : les donateurs du tableau votif Jean du Chesne de Marteau et son épouse Marguerite Françoise Dauvenne ; en bas : les donateurs de la peinture murale : Servais du Chesne et son épouse Barbe de Sohey.

Deux éléments sérieux se trouvent dans le texte tronqué relevé sur le mur : « échevin en la Haulte Cour de Durbuy et Damle Barbe de Sohey ».

Un peu de généalogie nous a bientôt révélé l’identité de nos deux inconnus : il s’agit de Servais du CHESNE, échevin de la Haute Cour de Durbuy, et de son épousee Barbe de SOHEY…, les grands-parents du Jean du Chesne du tableau.

Ils avaient bien un air de famille !

Donc, lorsque Jean a offert le tableau à son frère Guillaume et lorsqu’ils l’ont placé dans l’église de Tohogne, c’était sous le regard de leur grand-père Servais.

Pourquoi cet attachement de ces du Chesne à Tohogne ?

Parce que Servais du Chesne et Barbe de Sohey habitaient Warre et étaient paroissiens de Tohogne. Servais était aussi receveur de la Hesse.

Nous savons que Servais a assisté à la réfection de la charpente de l’église en 1612, son nom étant inscrit parmi ceux qui traitaient avec les charpentiers.

C’est peu après, vers 1617, que le curé de l’époque, Ponce de Bra, a permis que l’on peigne les portraits de Servay et de Barbe en donateurs : vraisemblablement les époux avaient-ils payé les réfections et les peintures inférieures…

Ces peintures vont rester visibles jusqu’à la mort du petit-fils, la pasteur Guillaume du Chesne le 2 août 1697.

Son successeur ne les trouvera plus à son goût. Sire Antoine Bourdon écrit ceci : « L’an 1706, j’ai fait replâtrer et blanchir toute l’église. ».

Plus de 275 ans plus tard, ces peintures allaient réapparaître.

Voici une petite généalogie de nos du Chesne. Vous les voyez alliés à tous les notables de Durbuy.

Revenons à Servay du Chesne.

Il naît vers 1570, vraisemblablement à Grandhan dont son père était mayeur. Lorsqu’il épouse, vers 1602, Barbe de Sohey, il est veuf d’Elisabeth de Pailhe, elle-même veuve de Florent de Presseux. Dès 1610, il est échevin de la Haute Cour de Durbuy. Dès 1620, nous le retrouvons receveur de la Hesse. Il administrait, au nom du prévot de Durbuy, cette « Maison des Bons Malades » où l’on soignait lépreux et autres malades contagieux. En 1629, il est semonneur de la Cour de Rianwez. Il décède entre 1634 et 1636.

Où habitait-il ?

Tout nous indique Warre.

Vieilles habitations à Warre / Tohogne.

Vieilles habitations à Warre / Tohogne.

En 1610, Servay fait dénombrement d’une maison à Warre. En 1624, il déclare que son père Guillaume y possédait déjà des terres en 1587. En 1628, on l’appelle « Servais de Warre ». En mars 1603, c’est à Warre que naît sa fille Marie du Chesne.

Marie du Chesne allait épouser le premier Cosme de Warre, Jean Cosme de Petite-Somme qui, bien que revendiquant la seigneurie de Petite-Somme, viendra vivre à Warre. Nous supposons que Jean Cosme vint occuper la maison de son beau-père.

Marie du Chesne ne vécut guère et on ne lui trouve qu’une fille, Jeanne Cosme, née avant 1620.

Veuf, son mari, devenu mayeur de Durbuy, épousera Elisabeth de Blier, une petite-nièce du prévôt Nicolas de Blier.

Jeanne Cosme allait épouser Antoine Magis de Septon. Le contrat de mariage est passé le 19-5-1648 devant le curé de Tohogne (Ponce de Bra). Elle renonce aux biens de Warre qu’elle laisse à ses demi-frères Cosme. Son père lui laisse des biens à Septon où son beau-père Jean Renard Magis l’hébergera.

Le mariage a dû se célébrer dans cette église Saint-Martin de Tohogne sous le regard de ses grands-parents Servay du Chesne et Barbe de Sohey. Ses cousins germains, Jean du Chesne, celui du tableau de Piconrue, et Guillaume du Chesne, le futur curé de Tohogne, en bas âge, ont peut-être pleurniché dans l’église.

Le couple s’installe à Septon où naissent leurs premiers enfants mais les derniers naissent à Tohogne où les époux sont revenus. Ils ont en effet hérité de Jean Cosme, leur père, mais surtout de Barbe et Hélaine du Chesne, deux de leurs tantes.

Vous tous, de Palenge, de Tohogne et de la Terre de Durbuy qui descendez de cet Antoine Magis et de cette Jeanne Cosme, et vous êtes nombreux, vous descendez aussi du couple qui est là-haut : Servay du CHESNE et Barbe de SOHEY !

Situons le contexte

Au moment où les peintures de Servay du Chesne et de son épouse furent réalisées, nous étions à la fin du règne des archiducs Albert et Isabelle. Ils avaient renoncé à engager la Terre de Durbuy à des seigneurs et en avaient confié la gestion au seul Nicolas de Blier qui était leur homme à tout faire de 1609 à 1631, prévôt, receveur, gruyer.

Après la mort d’Isabelle en 1633, Durbuy allait retourner au roi d’Espagne Philippe IV, neveu d’Isabelle. Celui-ci allait engager de nouveau la Terre à des seigneurs : Antoine Schetz de Grobendoncq en devient comte et nomme, en 1632, un nouveau prévôt, François de Cassal.

Nicolas Dauvenne était maïeur de la Ville.

Servais du Chesne était semonneur de Rianwez (l’arrière-petite-fille de l’un allait épouser le petit-fils de l’autre : cfr tableau à Bastogne).

Les seigneurs de Tohogne étaient Godefroid de Presseux et son épouse Hélène de Longueville.

1632, c’est aussi le début des guerres qui vont ravager nos régions : les troupes françaises et hollandaises, ennemies de notre souverain espagnol, vont piller, brûler, détruire…

1636, c’est la peste.

Le siècle des malheurs commence.

Jean Ninane et François Bellin    

 

Détail de la peinture murale : les donateurs en prière ; à l’arrière-plan : un Christ en croix massif.

Détail de la peinture murale : les donateurs en prière ; à l’arrière-plan : un Christ en croix massif.

 

Bibliographie

- « Durbuy, le Château, la Ville et la Communauté des Bourgeois de 1500 à 1795 » - Fernand Pirotte et Joseph Bernard, 1968.

- « Terre de Durbuy », catalogue d’exposition, 1982, X. Folville.

- « Lépreux et pestiférés en Terre de Durbuy », François Bellin, Terre de Durbuy n° 70, 1999.

- « La dispute théologique – Un tableau du Musée en Piconrue – Essai d’interprétation », Carlo Kockerols – Musée en Piconrue, 1999.

- « Un tableau votif à Tohogne », Paul de Borman, le Parchemin n° 213.

 

Dernière mise à jour le 11/12/24 Dernier élément ajouté Recherche sur le site

EditRegion5 16/06/09