Eglise romane de Tohogne- Aux environs(La Haisse et le Bois de Viné) |
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La maladrerie de La Haisse et le Bois de Viné
LA MALADRERIE DE LA HAISSE
Venant de Jenneret ou d’Ouffet vers Durbuy, on atteint la crête condruzienne qui s’étend de Houmart à Maffe à une altitude de 330 m environ où, si vous vous écartez de la tranchée du macadam et de la forêt de Viné, vous découvrirez tout à coup et à votre aise, la vallée de l’Ourthe et l’ancienne seigneurie de Durbuy jusqu’à Werbomont d’une part, Beffe et Samrée d’autre part ; de l’autre côté, vous pourrez contempler la vallée du Néblon et découvrirez une vue panoramique immense restituant les belles campagnes du Condroz namurois et liégeois. C’est vraiment, selon le mot d’un poète de Durbuy des temps romantiques, Daufresne de la Chevalerie, un « sommet biblique ». Le captage et la source de La Haisse, situés en contrebas des bâtiments dans le bois jouxtant le Domaine. Vous éloignant de Viné, par l’ancien tige, vous apercevrez de nombreuses vieilles traces de sentiers, auprès d’une bâtisse modernisée (incendiée par les Allemands le 7 septembre 1944), qui a respecté le vaisseau de l’ancienne chapelle Sainte-Madeleine, et de vieux arbres, des traces d’une source anciennement aménagée et une espèce de petite place. Tout cela exhale une vague senteur de mélancolie et de résignation, et inspire un profond et instinctif respect. Dominant au nord-ouest le village de Tohogne, l’endroit consiste actuellement en une grosse « villa-ferme » et une maison privée. On l’appelle La Haisse, qui est la vraie graphie, malgré l’usage plus courant de La Hesse. A peu près toutes les graphies des Archives élargissent très fort la diphtongue « ei » ou « ai » ; comme du reste le parler actuel des gens du pays. C’est là, en ce haut lieu de l’ancienne commune de Tohogne, que fut créée la léproserie de la seigneurie de Durbuy. Qui fut le fondateur de la léproserie et de la chapelle ? Est-ce Henri de Durbuy, dit le comte aveugle mort en 1196? Est-ce Ermesinde qui vécut de 1180 à 1247 ? Est-ce Jean l’Aveugle de Durbuy (comte de Luxembourg et roi de Bohême) qui, pour sa terre privilégiée – le comté de Durbuy – aurait créé, vers les années 1342-43, un établissement « hospitalier » dit « Maison des bons Malades » ? Nul ne sait. Inconnue aussi l’activité de la léproserie de son origine au XVIe siècle. Les ressources de l’institution furent, au début sans doute, les dons et legs d’âmes charitables, les hypothèques créées par les familles des malades sur leurs biens fonciers, les subsides du seigneur. Les bénéficiaires étaient les seuls habitants du domaine du seigneur à l’exclusion de ceux des dix-sept seigneuries foncières qui constituaient avec le domaine l’ancienne Terre de Durbuy. Chapelle romane de la ladrerie de Chièvres (12e-13e s.), seul élément subsistant des bâtiments de l’époque qui servirent pendant plus de quatre siècles. Un des fléaux de tout temps les plus redoutés de l’humanité, considéré comme une punition du ciel, comme la marque de la colère des dieux, la lèpre (1), ce «mal impur», a trop souvent suscité des mesures inhumaines envers les malades. Son origine se perd dans la nuit des temps. L’Inde est cependant considérée comme un des premiers foyers du fléau. Les navigateurs, les invasions barbares et sarrasines favorisèrent sa dissémination à toute l’Europe et jusqu’en Islande. Son existence était connue bien avant notre ère. Dans nos régions, elle se propagea aux VIIe et VIIIe siècles. Pépin le Bref, puis Charlemagne, prirent de sévères mesures d’isolement contre cette catégorie de malades. A la suite des Croisades, la lèpre atteignit son apogée en Europe aux 12e et 13e siècles. Elle inspirait à cette époque une terreur telle que les lépreux étaient frappés de «mort civile» et rejetés de la communauté humaine après avoir assisté à leur propre enterrement, cérémonie religieuse macabre dite «separatio leprosorum». On les conduisait alors à l’hôpital ou dans un lieu isolé (2). Au début, l’abri du lépreux n’était qu’une misérable hutte. Bientôt, grâce à des dons, on bâtit des demeures relativement salubres. Puis on créa de plus en plus de léproseries dont certaines furent richement dotées. Pour entrer dans une léproserie, il fallait être «ladre confirmé». Toute personne suspecte devait être soumise aux épreuves ordinaires devant un jury compétent. Pour nos régions, du moins avant le XVIIe siècle, ce jury était constitué par les Sœurs du Mont-Cornillon à Liège. Les moniales examinaient le visage, palpaient les paupières, inspectaient les narines, cherchaient si les yeux n’étaient pas rouges, étincelants, au regard immobilisé, la langue enflée, les gencives corrodées, les dents décharnées, l’haleine «fort puante», l’envers de l’oreille piqué de «petites tubercules». On arrachait un poil de barbe, un cil et un cheveu pour vérifier si «à la racine n’était pas attachée quelque portion de chair», puis on regardait par tout le corps si son «cuir» n’était pas «crespiz et inégal comme celui d’une oie maigre plumée» et en certains lieux couvert de dartres. En fin de consultation, on étudiait la réaction du patient à l’enfoncement profond d’une aiguille au tendon du talon. Si les signes de cette affreuse maladie étaient constatés, le suspect devenait «ladre confirmé». Dans la plupart des localités, la séquestration du lépreux étant ordonnée, la paroisse d’origine supportait la dépense de fournir une maisonnette avec sa «flage» ou aire battue, une cheminée et une chambre, et ce dont il pouvait avoir besoin (nécessaire d’un rudimentaire ménage, un costume d’étoffe grise avec quelques aunes de réserve, une «cliquette» d’avertissement et même «un coq et six gélines»). Saint Lazare était invoqué pour adoucir les terribles tourments de la maladie. (3) Le « Chemin du Facteur », antique chemin reliant Tohogne à La Haisse (1973). Actuellement inaccessible car recouvert de broussailles. Pour les ladres confirmés de la seigneurie de Durbuy, un vaste établissement les attendait : la maladrerie de La Haisse. Elle ressemblait en quelque sorte à un monastère avec église, presbytère, bâtiment pour les ladres et annexes diverses. Venant de Tohogne, on y accédait par l’ancien chemin « du facteur ». Le corps de logis actuel (appartenant à Madame M.-Th. Godinache-Lambert) est l’ancienne habitation du mambour et, dans la suite, du recteur bénéficier de la chapelle ; la vieille bâtisse d’en face servait d’étable et de grange pour les rentes en nature et les récoltes du recteur résident. Au fond de la cour anciennement close se trouvait la chapelle Sainte-Madeleine, dont le chœur a été reconstruit au début du XVIIIe siècle selon le millésime 1711 gravé sur une pierre angulaire côté sud. Les ladres se tenaient dans un autre bâtiment proche, situé dans la partie occidentale de l’enclos, tout contre le bois de Viné, de l’autre côté de la grand-route actuelle. Cette construction, disparue dans le courant du XVIIIe siècle, devait comporter toute une série de petits logements séparés les uns des autres. (4) Le pauvre lépreux n’avait plus que ce réduit où se cacher en attendant... Sa maison et tout ce qui lui avait servi avaient dû être brûlés ; on ne pouvait y toucher qu’avec des gants. On ne sait si, comme au pays de Bastogne, il pouvait trois jours de la semaine parcourir la paroisse pour recueillir l’aumône ; il ne pouvait en tout cas paraître sans son habit de ladre, longue robe grise, manteau à capuchon et coiffure en fourrure. Deux lépreux moyenâgeux agitant une crécelle (ou cliquette), portant bâton et écuelle. (Dessin de gauche : extrait d’un manuscrit français, 15e s., B.N. Paris).. Il lui était interdit de sortir nu-pieds, de toucher les enfants, de manier aucune marchandise qui ne fût à lui, d’aller dans aucune église autre que sa chapelle, dans aucune foire, aucune réunion et même de passer par des ruelles étroites, de parler à quelqu’un lorsqu’il était «sous le vent». D’ailleurs, il devait toujours être muni de sa cliquette pour avertir de son passage. Les lépreux avaient à La Haisse leur propre fontaine et ne pouvaient toucher aucune eau courante ou jaillissante. Plan de La Haisse et de ses alentours extrait de l’Atlas des communications vicinales de l’ancienne commune de Tohogne, 1840. La Haisse a rendu d’inappréciables services à la plupart des villages des quatre cours (Barvaux, Wéris, Grandmenil et La Sarthe) du comté de Durbuy et aux localités circonvoisines. L’établissement fut sans doute bondé lors de la terrible et universelle épidémie de 1348. Durant trois siècles, bien des ladres vinrent y finir leur peu enviable existence. D’après Berleur, avant 1529, on compte 61 accenses, c’est-à-dire des hypothèques créées au profit de l’entretien du « bon malade » à La Haisse, par lui-même ou sa famille sur ses biens et héritages (sans compter toutes celles qui ont été perdues, négligées ou rachetées). De 1529 à 1600, on note 21 nouvelles accenses ; puis 4 pour le quart du siècle suivant. Il est venu des malades d’au moins 42 villages, depuis la Haute Ardenne, d’Amonines, Eveux, Erpigny, Clerheid, jusqu’à Atrin, Warzée et Maffe. De tous ces ladres, on n’en connaît qu’une douzaine, parmi lesquels Marie de Waha, épouse Thonus (vers 1520) ; Martin (?) de Houmar, ladresse (avant 1565) ; Catherine Philippa de Houma (?), bonne malade de La Hesse, épouse de Gilson Lescrinier de Barvai (en 1575) ; Marie Boinet, fille de Jean Boinet de Coquaimont et de Marie de Liers (en 1583) ; Wathelet Le Bouvier de Moirville (en 1585-1588) ; Jehan Wathelet, fils du précédent (1588); Catherine de Warre, épouse de Jean Le Gorlier (en 1587-1600) ; Catherine Damblève, épouse de Jean-Lambert Hubinet de Palenge (avant 1596). Si La Haisse brava les troubles de la fin du XVe siècle et du milieu du XVIe qui amenèrent la chute de beaucoup d’hôpitaux, l’examen de la liste des mambours et des rentes nous convainc que la léproserie chôma à partir de ± 1630. Les comptes de Jean de Haseille nous apprennent que « Barbette le Burton, bonne malade, est morte la nuit de St-André en ceste année 1638 » et que sa sœur Antoinette « est morte trois jours après la St-André, Apostre de cestuy an 1642 ». Ce sont les dernières malades reçues à La Haisse, vraisemblablement des rescapées de la peste de 1634-1636. (5) Messire Berleur, en 1731, dressant la liste des anciens receveurs de La Haisse, laisse une lacune entre les années 1612 et 1676, espace durant lequel ne fut créée, ou du moins annotée, aucune accense ni rente. C’est aussi durant cette période que survint la grande peste dont question ci-avant qui fit disparaître beaucoup de gens, entre autres vingt jeunes gens d’Eneilles de moins de vingt ans avec le prêtre Messire Jacques Rondeaux, habitant Petite Eneille et séquestré sur un thier dans une logette ; à Durbuy périrent le curé Auguste Laurent et à Tohogne six enfants et autant d’adultes. A cette date, on ne signale plus la maladrerie de La Haisse. Le passage des troupes, la moindre intensité des épidémies et la vétusté des bâtiments en avaient amené la désaffection. L’institution de charité perdura néanmoins. Le boni était distribué selon les instructions du seigneur de Durbuy et de la Justice aux pauvres de la ville et franchise de Durbuy. Administration du spirituel – Dès les premiers temps, la chapelle Sainte-Madeleine fut annexée à la maladrerie (l’anniversaire de la dédicace se célébrait le dimanche avant les Quatre-Temps de septembre). Deux fois par an, de par la fondation, le curé de Tohogne montait y dire la messe pour le repos de l’âme du fondateur, l’une le jour de la fête de la patronne du lieu, le 22 juillet, et l’autre le jour anniversaire de la dédicace. La maladrerie, se trouvant sur le territoire de la paroisse de Tohogne, ressortissait à sa juridiction et le curé-doyen Poncin dit avoir lu dans un registre qu’anciennement « le curé devait administrer le spirituel aux dits malades ». Dans la suite, le nombre des messes fondées à La Haisse par les malades, leur famille ou d’autres pieuses personnes augmentant considérablement, il fallut un autre prêtre pour assurer le service de la chapelle. « Un prêtre à gages, dit Berleur, leur allait administrer le Saint-Sacrement d’Eucharistie à la chapelle… et l’Extrême-Onction. » Au début du XVIIIe siècle se célébraient encore annuellement à La Haisse cinquante-deux messes pour les trépassés. Au désserviteur étaient dus « pour gages et salaires et honoraires des dites messes, annuellement 4 muids d’épeautre et un muid d’avoine ». « Pour le luminaire de la désservitude, pain et vin, est payé deux escus. » Administration du temporel – Il est impossible de préciser quel fut le mode de vie et d’administration temporelles à La Haisse durant ces deux premiers siècles. Vers 1460, il y eut un mouvement universel de laïcisation et d’accaparement par les gouvernements locaux de tous ces organismes charitables. Le curé vit diminuer son influence. D’alors datent les mambours et les finances sont dès lors contrôlées par les échevins de la Haute Cour. Route d’Ocquier aboutissant au « Tige » (juste avant de plonger sur Tohogne) et séparant le Domaine de La Haisse (à gauche) du Bois de Viné (à droite). Dans un vieux registre disparu et aux Archives de l’Etat à Saint-Hubert sont relevés les noms des anciens receveurs et mambours de La Haisse depuis 1529 : Servais de Mayes, dès 1529 ; ensuite Lens en 1531 ; Pierrot de War et Collin de Tohogne, dès 1539 ; Jehan de Bra et Everard Servais, haut sergent de Durbuy, en 1549 ; Léonard de Malmédy en 1557 ; en 1565, Michel Lonard ; en 1567-69, Godefroid de Presseux ; Guillaume Sarter, greffier, en 1569 ; Raes Stordeur, en 1575, qui, en 1580, constitue une déclaration de rentes ; en 1583, Philibert de Bruyre, alias Somers, échevin de la ville et franchise de Durbuy ; en 1594, Hans Bethen ; en 1612, Servais Duchesne, échevin de la Haute Cour ; en 1638-46, Jean de Haseille ; en 1676 et 1677, Laurent de Mazys, qui écrivit quelques notices (perdues) ; en 1691 et 1692, Louis de Traux, échevin de la Haute Cour et receveur de La Haisse, dresse une nouvelle spécification des cens et rentes. En 1698, le haut sergent de Durbuy, Louis de Xhignesse, mambour, compose encore des notices et remplit sa tâche jusqu’à la Saint-André 1730. Cette charge passe alors entre les mains d’un prêtre, Messire François-Joseph Berleur, prêtre à Durbuy, désormais « desserviteur, mambour et receveur de la dite Haisse ». Notre-Dame aux lépreux, à Silly, église de la Sainte-Vierge (statue en bois). Elle provient de la léproserie de Mauvinage, chapelle de Formarié, 1163. Notons que, même après la disparition de la ladrerie, restent toujours les cens et les rentes affectés dorénavant à la chapelle Sainte-Madeleine et à la distribution de secours aux pauvres du comté. Sire Berleur cesse d’être receveur en 1760. Pour 1761, le sieur Dayeneux, receveur des domaines, établit, du consent du duc d’Ursel, seigneur de Durbuy, Jean-François Rasquin, échevin de la ville, receveur des biens de La Haisse ; il fut continué dans cet office jusqu’en 1763. Ensuite, sire Devillers, prêtre résident à La Haisse, a été établi mambour pour 1764 et 1765 ; après quoi, c’est de nouveau Rasquin, par commission du 16 juillet 1766, jusqu’en 1775. Il eut pour successeur le sieur de Chéoux, en fonction jusqu’en 1785, date de départ de la longue mambournie du sieur Mersch, qui fut le receveur de la Révolution française. L’office de mambour de La Haisse comportait d’abord la récolte de toutes les rentes en nature et la perception des cens et tous les revenus de la maison et chapelle ; ensuite le paiement de toutes les dettes et gages annuels. Il était désigné par le seigneur de Durbuy ou, au moins de son consentement, par le receveur général des domaines ou encore, avant la création de ce dernier poste, par le prévôt et la Haute Cour de Justice. Rentes et cens – Fort peu d’églises rurales dans l’ancien régime et peu d’institutions de charité avaient une telle somme de revenus annuels. La source principale était l’accense faite par les « bons malades » sur leurs biens fonciers et héritages. La part des dons et des legs généreux est aussi très importante. En tous temps, la beauté de l’œuvre suscita bien des générosités. Il semble que la famille noble des de Longueville s’y intéressa toujours vivement. Même au XVIIIe siècle, nous connaissons plusieurs constitutions en faveur de La Haisse, spécialement de la part des bourgeois de Durbuy. Ermitage de La Haisse (Hesse). Extrait de la carte de Ferraris dressée entre 1771 et 1778. A remarquer : le vaste enclos entourant l’ancienne maladrerie. La Haisse, ermitage – L’ancienne ladrerie désaffectée devint ermitage vers la moitié du XVIIe siècle. On sait que les ermitages étaient très fréquents autrefois. Dans les environs, il y en avait notamment un au lieu-dit Favenal, tout près de Petit-Han. En 1661, un ermite est cité comme résidant à La Haisse : Jean, frère de Robert le Chandillon de Tohogne. En 1686, est cité comme parrain au baptême d’Antoinette Josèphe Tossaint de Tohogne, le « frère Joseph Martin, ermitte de la Haise ». Il y en eut un en 1722 qui créa quelques difficultés au curé Bourdon (1700-1727). L’affaire alla même à Liège, devant l’évêque. En 1728 et 1729, un autre ermite, Frère Joseph Legros, est témoin à deux mariages célébrés en la chapelle de La Haisse. Y eut-il une longue suite d’ermites ? On ne sait. Toujours est-il que La Haisse est encore désignée sous ce nom d’« hermitage » sur la carte de Ferraris (dressée ± en 1775). La chapelle de La Haisse, bénéfice simple – Outre l’anniversaire du comte aveugle de Durbuy chanté à Tohogne depuis sa fondation, ont persisté les deux messes que le curé de Tohogne devait célébrer en la chapelle Sainte-Madeleine ; à partir de la Révolution française, elles furent dites à la paroisse. Le jour de la Sainte-Madeleine, le curé, son chapelain et son marguiller dînaient au presbytère du desservant qui, pour couvrir ses frais, était payé par la recette de La Haisse (en 1676, 18 patars ; pour honoraires au curé, un écu). De temps en temps, le curé ou un vicaire allait à la chapelle Sainte-Madeleine célébrer des mariages ; ordinairement, il s’agissait de personnes habitant Longueville ou Houmart. Ainsi en 1728 et 1729 par le vicaire de Tohogne ; en 1733 et 1736 par le recteur Fr. Berleur (encore en 1761). Le bénéficier Devillers fit quelques mariages aussi (en 1774, 1777, 1778). Ce bénéfice ecclésiastique confié, du moins dès le XVIe siècle, à un prêtre à gages, était chargé de nombreuses messes. En 1731, dit Berleur, il s’en célèbre encore cinquante-deux par an ; ce chiffre alla augmentant grâce aux fondations (nombreuses au XVIIIe s.) et aux constitutions de rentes en faveur de la chapelle. Des titulaires du bénéfice, nous n’en connaissons pas avant François Berleur qui le fut de 1731 à 1762 ; il avait été mambour de l’institution jusqu’en 1760, en même temps que recteur. Il habitait au presbytère de La Haisse avec sa sœur Marie-Catherine qui mourut en 1743 et fut enterrée dans la chapelle. Il mourut en 1762 et fut inhumé dans le chœur de la chapelle. Berleur remplit toujours son double office avec beaucoup d’ordre et de dignité. Dans le Domaine de La Haisse sont répertoriés deux arbres remarquables : un hêtre commun (3 m de circ. et 18 m de ht.) représenté au centre du cliché et un marronnier d’Inde (291 cm de circ. et 16 m de ht.) situé à proximité des habitations – Photo Chantal Rossignon Après lui est cité comme « prêtre résidant à la Haisse », en 1763 sire Devillers, établi aussi mambour pour les années 1764 et 1765 seulement. Il sera le premier maître de l’école créée par le propriétaire de La Haisse qui est, à cette époque, le duc Charles-Elisabeth d’Ursel (enseignement secondaire susceptible de permettre aux jeunes gens de la région de faire des humanités complètes à Durbuy où les Pères Récollets assureront l’enseignement des trois classes inférieures). Le rectorat de sire Devillers finit en 1783, pour faire place à sire Henri Bertrand entrant en fonction à la Saint-Jean. Celui-ci vécut les misères de la Révolution. La Révolution française et La Haisse – La grande balayeuse des institutions chrétiennes ferma la chapelle, qui fut vendue en même temps que le presbytère et les annexes, à vil prix, en 1796. Ce qui restait de l’œuvre de charité fut laïcisé. Les rentes continuèrent à se récolter normalement jusqu’en 1799. Dans le registre des rentes, une autre plume que celle du receveur antérieur a écrit : « arrêté le 19 pluviose an 9 ». L’ancienne Haisse devint « hospice civil dit de la heisse, représenté par les administrateurs du Bureau de bienfaisance du canton de Durbuy » ; en l’an 12, leur siège fut établi chez Wéby, curé à Barvaux s/Ourthe. De 1800 à 1816, la solution des rentes fut signée par un certain Bernard ; elles furent toutes inscrites aux hypothèques aux mois de septembre et octobre 1818. Pendant tout ce temps, des difficultés surgirent : beaucoup de rentes paraissaient s’être perdues, d’autres se payaient avec des arriérés remarquables. En 1824, un certain Nassogne signa vigoureusement sous chaque solution de rente et déclara « vu et arrêté ». La villa-ferme de La Haisse en 1975. Dans le fond de la cour : l’ancienne chapelle Sainte-Madeleine. Dès lors, le Bureau de bienfaisance transporta son siège social au chef-lieu du canton ; une commission de cinq membres choisis parmi les notables du canton se renouvellait à chaque quinquennale ; du reste, la gestion s’avéra bonne. Mais les revenus étaient loin d’être aussi bienfaisants aux miséreux des douze communes de l’ancien comté de Durbuy ressortissant encore à cette institution. Pour un temps encore, celle-ci survécut dans cette ultime formule. Que devinrent toutes les anciennes fondations de messes ? Quelques-unes furent récupérées avec peine. Quant à celles qui revenaient au curé de Tohogne, c’est le curé Kneip qui, en 1828, après bien des recherches, les restaura avec la réduction décidée par l’évêque de Namur. Ce curé pensait à tort que la chapelle avait été démolie, mais lesvénérables murailles protestent encore ! (1) Le nom de lèpre a été appliqué à peu près à toutes les affections de la peau. Tout porte à penser qu’au Moyen Age, on confondait sous le nom de lèpre les ulcérations scrofuleuses, syphilitiques, cancéreuses et toutes les affections de la peau. C’est ce qui explique comment il a pu y avoir au 13e siècle et plus tard 2.000 léproseries en France (19.000 dans les pays qui composaient alors la chrétienté) et pourquoi lorsque l’observation a succédé à l’ignorance, on vit diminuer rapidement et ensuite disparaître la lèpre au Moyen Age. Les affections redoutables qu’on avait qualifiées de ce nom furent classées et qualifiées autrement. (2) Les lépreux bénéficiaient alors de bien peu de remèdes efficaces. Dans un dictionnaire pharmaceutique du 18e siècle, on en trouve quelques-uns plutôt inattendus susceptibles de guérir la lèpre ! Viorne : selon Dioscoride, les feuilles étant pilées et appliquées sur la lèpre, elles la guérissent. - Vipère : Gallien rapporte deux guérisons de lépreux pour avoir bu du vin dans lequel les vipères avaient été suffoquées. (3) Saint Lazare, évêque, martyr. Frère de Marthe et de Madeleine, ressuscité par le Christ selon l’évangile saint Jean. Fête le 17 décembre. - Lazare : pauvre mendiant dont il est parlé dans l’évangile de saint Luc (parabole). La tradition en a fait un saint et le donne pour patron des lépreux. C’est de ce Lazare qu’on parle dans les sermons sur la charité. (4) Dans pas mal de campagnes subsistent des lieux-dits (la maladrèye à Enneilles, pré des malades à Fanzel, fontaines des malades près de Bourdon, fonds des malades à Soy), aussi à Jenneret et Izier. Ces noms portent à croire qu’il y eut d’autres ladreries proches de la Terre de Durbuy. (5) Actuellement, les jours de la lèpre sont comptés. Fléau parmi les plus anciens et les plus tenaces de l’humanité, la lèpre a vu approcher sa dernière heure quand, en 1873, le Norvégien A. Hansen identifie le bacille qui la provoque (mycobacterium leprae). L’étape décisive de son élimination commence seulement en 1981. Une combinaison de médicaments récents (polychimiothérapie ou PCT) permet alors un traitement court (de 6 mois à 2 ans) et vraiment efficace. En 1991, l’OMS parvient à engager l’ensemble des gouvernements concernés à agir en vue de l’élimination de la lèpre. Aujourd’hui, beaucoup de pays du tiers monde sont descendus au-dessous de 1 cas par 10.000 habitants. Un peu moins de 900.000 cas sont enregistrés pour traitement. Entre 1 et 2 millions d’anciens malades présentent des incapacités résiduelles. La moitié de ceux-ci vivent en Inde. Au début de ce 3e millénaire, il est donc permis d’espérer une victoire tant attendue grâce, entre autres, aux Fondations Damien et Raoul Follereau. Sources : Germain NINANE, «La Maladrerie de La Haisse à Tohogne», Bulletin de l’Institut Archéologique du Luxembourg, 1941, n° 1, pp. 3 à 18. – Fernand PIROTTE, «Note sur l’évolution de la ladrerie de La Hesse à Tohogne - Du Moyen Age à la fin de l’ancien régime», Annales de l’Institut Archéologique du Luxembourg, Arlon, tomes CVI-CVII, années 1975-1976, pp. 163 à 181.– Archives de l’Etat, Saint-Hubert. – Albert d’HAENENS, «Un passé pour 10 millions de Belges» (bibliocassettes), Artis/Historia. – Dictionnaire en 4 volumes La Chatre, 1899 – Dictionnaire botanique et pharmaceutique (Rouen, chez Pierre Machuel et Jean Racine, libraires), 1782. – Christian C. SENEN, Revue Télépro, n° 2350, jeudi 18 mars 1999. – Revue «Perspectives», Fondation Damien, n° 1, janvier 1996. – Joseph BERNARD, «Histoire, contes et légendes du Pays de Durbuy», 1980.
La maladrerie de La Haisse, par l'Abbé Germain Ninane
(PDF) Téléchargeable (37 Ko)
Note sur l'évolution de la ladrerie de La Hesse, par Fernand Pirotte
(PDF) Téléchargeable (484 Ko)
Ermites et recteurs – Chapelle de la Haisse.
Documents annexes
Résumé de textes divers (Archives de l’Etat à Saint-Hubert)
6-1565 - « Andry de HOUMART marit en 2es nopces à la veuffe Jacqu de Barvea parmy la gréation de Hubert JACQUE aysné fils dudit JACQ soy portant fort le sr Andry dudit Hubert est redevable à l’église del Heesse de 6 st pour l’accense de Martin de Houmart jadit ladresse que les mambours avaient acquis audit JACQU assignés sur les biens dudit JACQ ; - à la requête de Michel LONARD (?), mambour de la Heesse » (HC Durbuy, vol. 14/113, f° 37). 3-2-1575 - « Gilson LESCRINIER dit le gros GILSON de barvai fait donation au prouffict de Catherine PHILIPPA de Houma (?), bonne malade à la Hesse de 2 stiers de spelte de rente. Guille SARTER les reçoit en tant que mambour de La Hesse » (HC Durbuy, vol. 18/117, f° 118). 12-8-1585 – « Jehenne fille de feu Jean de WARRE en son temps dmt à Bordon (Borlon ?) et à pst épouse à Wathelet LE BOUVIER de moirville assistée de Jacq LE MERCIER son mambour de sa pleine volonté pour satisfaire à l’assignation qui a été faite par sondit marit au prouffit de la maison des bons malades delle Heest où son dit marit est receu comme entaché de lèpre transporte au prouffit de ladite maison 2 stiers de spelte de rente. Mambour delle Heest Philibert SOMERAINS ? » (HC Durbuy, vol. 22/121, f° 47). 31-7-1587 - « Jehan LE GOHELIER dmt Durbuy transmet à la maison des bons malades 2 stiers de spelte de rente affectés sur un bien par delà le Grand Pont joindant Antoine DODRIMONT et loys LE MARLIER (= MINET) pour l’accense de Catherine de WARE femme audit Jehan LE GOHELIER puisnagère colloquée en ladite maison comme entachée de lèpre en icelle mison par Philibert SOMER, mambour dicelle » (HC Durbuy, vol. 23/122, f° 113). 15-12-1587 – « Jehan de BRIALMONT sgr des Eneilles rapporte vesture arrière au prouffict de Jehenne fille de feu Jean de WARE femme à Wathelet LE BOUVIER ? bon malade à la maison de la Heest que ledit Jehan de son vivant avait cédé au sgr des Eneilles en vertu de certaine accense ci-devant faite par iceluy Wathelet » (HC Durbuy, vol. 23/122, f° 122). 13-7-1588 – « Jehenne fille Jehan de WARE en son vivant dmt à Borlon et espeuze WATHELET de Moirville à présent bon malade de La Heest hypothèque de 2 stiers de spealte de rente sur la maison et terres appartenant à ladite jehenne situé audit Borlon et au nom de Jehan WATHELET fils dicelle Jehenne aussy pst infecté de la maladie de la lèpre en faveur de ladite Heest » (HC Durbuy, vol. 24/123, f° 37). 6-4-1596 – « Adam et Noel beaux frères marit de Catherine et Jehenne filles de feu Jean Lambert AUBINET de Palenge et de Catherine DAMBLEVE ensemble Agnes aussi fille empruntent à la Heest » (HC Durbuy, vol. 28/127, f° vers 18). 3-1-1600 – « Jean GUILLE et Thomas frères enffans de feu Jean LE GOHELIER en son temps de Durbuy et de Catherine fille Wille de WARE sa femme pst bonne malade à la Hesse après relief par trespas de leur feu père et par mortificatIon de leur mère font pure vendaige au prouffict d’Arnoult LE TECHEUR dmt Warre de 1/5 de terre sur Hottefreudchamp » (HC Durbuy, vol. 28/127, f° 178). 23-1-1609 – Winotte de PETIT SOMME de Tohogne met en gagier au proffict de la maison des Bons Malades 25 patars de cens qu’il at affectés sur les biens Jean de WARE acquis le 15-4-1573 + 30 patars affectés sur les biens Jean Pierre LE CHARLIER acquis le 12-4-1580 à feu Collienne de TOHOGNE » (HC Durbuy vol 31/131, f° 48). 30-4-1632 – « Eloy de GIVE de Tohogne met en gagier un cens au profit de la maison de la Hesse » (HC Durbuy, vol. 45/509, f° 021). 25-5-1634 – « Agnes vefve de feu Jehan de SEPTON demeurant à Warre emprunte à la Maison des Bons malades, à Servais du CHESNE mambour de La Heest » (Cour prévotale Durbuy, vol. 426/287, f° 13). 13-6-1643 – « Mr Jean de HASEILLE mambour de la Heest rapporte vesture pour purgement au profit de Gerard AUBINET et des représentants Jean COLLARD » (HC Durbuy, vol. 48/146, f° 39).
Servais du CHESNE, mambour de la Heest (1621-1634) (1er livre de comptes conservé aux Archives de l’Etat à Saint-Hubert)
LES RENTES EN EPEAUTRE (liste dressée en 1621) Doivent : - Martin STASSART à présent Jean du CHESNE à HAN sur ses héritages à Durbuy : 2 stiers spelte ; - Jean LE GORLIER sur sa maison pour l’accense de Catherine sa femme au présent Louis KAYE : 2 stiers ; - les héritiers Englebert de PRESSEUX à présent Godefroid, Henry, delle Anne de PRESSEUX et Adam de WARRE ensemble : 2 sty ; - Henry LANGE le vieulx à présent son fils ; - Henry de VAULX sur le pré dessous Viné présentement Ernest KAYE ; - Jean RIGA à pst Geutkin LE CHARLIER et Rolland de BOHON ; - les manans et habitans de Coquaymon ; - Jean BOINET de Cocquaymont pour l’accense de Marie sa fille à présent Jean JACQUEMIN ; - les héritiers Jean de LONGUEVILLE : 3 muids spl ; - les héritiers LAMBYNON à Hermanne … sur les héritages Jean du CHESNE au présent Louys MANNET dudit Hermanne ; - les héritiers Jean et Godefroid GATHY de Barveau ; - la vefve Jan COLLA Comme représentant Gilson LESCRINIER pour l’accense de Catherine de HOUMAR ; - les représentants Guy JACQUE audit Barveau ; - LE BURTON pour l’accense de sa fille ; - Bauldhuin LE FEBVE à présent Jean LOUYS et Bauldhuin de TROOZ dudit Barveau ; - Gerard de MANE audit Barveau ; - les représentants Henry de HERBET à présent la vefve HERBET et Bauldhuin dudit Herbet ; - Jan de FLOYON à présent Phl de BERLAYMONT sr de Boumalle ; - les héritiers PIROTTE de Warre à présent la recepte de Durbuy ; - Evrard KAYE représentant Pasque de WARRE ; - les représentants Arnould LE TEPCHEUR dudit Warre ; - Jean LE COCQUAY dudit Warre ; - les représentants Jean de BRAZ audit Warre ; - les représentants Lambert WARNIER audit Warre ; - le … de CLARCHAMP (?), au lieu de Bohon et Thiry dudit Bohon ; - la vefve LE TEPCHEUR audit Bohon ; - les représentants Rolland KAYE au lieu de Palenge ; - sur les héritages Jean LAMBERT de Palenge pour l’accense de Catherine sa femme ; - les enfants Michielle de SEPTON et par après Pacquette vefve Collin DELLE ROCHETTE ; - les représentants Guillaume de PETITE SOME à présent Corbel dudit lieu ; - Henry SON de Gran Somme représentant Ernoud dudit lieu ; - les héritiers Guille du MARTEAU à présent les héritiers Colin LE FLAMEN ; - le Grand LAMBERT de Grandhan ; - Gille LALLEMAND à présent ses héritiers ; - Jan HUBINET au lIeu de Biron à présent Margueritte vefve Pasque LE COMTE et Jan JACQUES dit Jan ADAM ; - PYROTTE de Biron à présent BLAISE dudit Biron ; - Gilson Jan COLLA ; - Pirotte LAMBERT audit Biron ; - la vefve RIFFLARD au lieu de Wenin au présent le sr de BLIER ; - Jan et Pyrette de THOUR ; - Jan LE TRALENNE et consorts au lieu de Wéris à présent Gilotel dudit Wéris ; - Jan et Collignon LE MARGOT dudit lieu ; - les représentants Gille de BRIALMON ; - la vefve Jan de HARRE aulieu de Moirville ; - Louys LE CLERCQZ dudit lieu à présent Lambert BASTIN ; - Jean de CHYNESSE et Mathieu Jan JALHAY au lIeu de Heyd ; - Jan WILLEM dudit lieu ; - la vefve Servais GELOTEAU de Moiurville ; - la vefve Jan d’IZIER au lieu de Hougon sur tous les biens doibt pour l’accense Werotte de WARZEE ; - la vefve de MAZY au lieu d’Izier sur tous les héritages PIRA et Henry DELLE CROIX ; - les représentants DROBOST ? dudit lieu ; - les représentants Jehan d’AYNE le techeur dudit lieu ; - Baudhuin LE STASSIN d’Izier ; - les héritiers Gilson DOLNEUX audit lieiu ; - les représentants Bastin de MONTFORT au lieu de Beemont ; - le vefve LARUELLE (?), au lieu de Borlon ; - Godefroy EUSTACHE demeurant à Warre ; - Jean LOUYS dudit Borlon ; - le podestat de Stavelot au lieu de B… (?) ; - les héritiers Jan DENEILLE au lieu de Biron. LES RENTES EN ESPECE D'AVOINE : - les héritiers Jean de LONGUEVILLE audit lieu ; - etc., etc.
Trouvé dans les registres :
3-4-1683 – « L’officier joint M. André MARTINY contre Laurent BOUFFEUX, Noel COSME et N. PASQUAY, berger à Tohogne. André MARTINY a voulu s’approprier les clefs de l’église et un graduel. Il s’est moqué de ceux qui réclamaient les clefs. On a du faire appel à M. LAMBERT chapelain. » (Plaids HC Durbuy, vol. 271/219, f° b181… 186). 7-1699 et 21-5-1700 – « Le mambour de la chapelle de la Hesse et hault sergent contre les héritiers de feu sire André MARTINI, Jean LE FAGNAR le père à titre de ses enfants, frère Paschal leur oncle frère dudit MARTINI, Gille BREDART imbécile d’esprit neveu, Jean GEORGE de BRA marit de Anne LE FAGNAR de Verlaine, Merguerite et Françoise LE FAGNART et Jacques FAGNAR adjoumés. Le sire MARTINI feu leur oncle ayant été pourvu du bénéfice de la Heest par le sr Le FORT qui en était pourvu, frère Joseph LHERMITTE étant souvent absent, il fut obligé de retirer le calice pour l’enfermer dans son coffre à tohogne. Or on vint lui voler. Le mambour réclame le prix du calice (22 onze d’argent) aux héritiers alors que le sieur le FORT n’avait rien réclamé au prêtre MARTINI. En 1699 il est dit que le calice a été volé il y a 6 ou 7 ans. On cite aussi comme héritier Henri HERBET marit à Anne LE FAIGNAR. » (Plaids HC Durbuy, vol. 275/220, f° 35 à 36). Un grand merci à M. Jean Ninane d’Esneux de nous avoir fourni ces documents annexes ainsi que bien d’autres renseignements glanés aux Archives de l’Etat à Saint-Hubert, grâce à de patientes recherches. Aubinette ou l’orpheline de Durbuypar le Major Auguste Daufresne de la Chevalerie, Bruxelles, F. Hayez, 1877
Le roman écrit par le durbuysien Auguste Daufresne de la Chevalerie est en somme un prétexte. L’auteur en profite pour rendre hommage aux Grobendoncq, ancêtres de la famille d’Ursel à qui il est dédié ; mais surtout il lui donne l’occasion de faire l’œuvre de chroniqueur pour évoquer, sources à l’appui, bien des aspects de la vie ardennaise au XVIIe siècle, introduisant dans le récit des épisodes annexes qui n’y jouent aucun rôle. L’ensemble baigne dans une atmosphère chrétienne et nostalgique de l’Ancien Régime. (J. Grignard, « Nos gloires littéraires », Bruxelles, 1889.) Quant à nous, nous ne retiendrons ici que l’essentiel de l’intrigue qui met en évidence, et de quelle manière !, la maladrerie de La Haisse. Le style reste pompeux et larmoyant ; nous ne pouvions aller plus loin dans le toilettage du texte sans risquer de dénaturer le récit.
A Durbuy, au XVIIe siècle, Aubinette, (1) jeune paysanne orpheline de mère, a été élevée avec Jehan, (2) lui-même orphelin de père. Grâce à l’appui d’un moine, le Frère récollet Hermant, elle a pu trouver un emploi de couturière au couvent tout proche et acquérir ainsi une certaine instruction, tandis que son ami et voisin direct Jehan est devenu jardinier au château. Les deux jeunes gens s’aiment et songent à se marier. A peine se sont-ils promis l’un à l’autre qu’Aubin, le père d’Aubinette, lui est ravi après une courte maladie. Vers la fin d’un jour de septembre, alors que l’orpheline venait de quitter le cloître pour retourner à sa chaumière, elle crut entendre des sanglots s’échapper de l’habitation de Madeleine, la maman de Jehan. Celle-ci, l’œil hagard, défendit l’accès à la jeune fille : - N’allez pas plus loin, chère Aubinette. Jehan est atteint de la lèpre ! - Je veux le voir, oh ! je vous en supplie !... Elle repoussa doucement la vieille femme et pénétra avec elle à l’intérieur. Puis elle ne fit qu’un bond jusqu’à la petite chambre où son ami gisait sur sa couche d’angoisse. - Mon Jehan, me voici ! s’écria-t-elle. Un cri aigu, où l’effroi et le désespoir se confondaient, répondit à ce touchant appel. L’infortuné Jehan cacha aussitôt sa tête sous la couverture. Des pleurs brûlants jaillirent des yeux d’Aubinette. Elle se rapprocha davantage, s’assit sur le bord du lit et lui dit : - Jehan, ne suis-je plus votre amie d’enfance, votre fiancée. Jamais je ne vous abandonnerai ! En même temps qu’elle prononçait ces paroles, Aubinette parvint à écarter la couverture et s’empara des mains de son ami, malgré la résistance du malade… Alors, leurs regards se rencontrèrent et il fallut à la jeune fille une fameuse volonté pour réprimer un cri douloureux et dissimuler ses terribles impressions en voyant le visage de son amoureux ravagé par la maladie. - Aubinette, pitié pour votre jeunesse ! pitié pour votre beauté ! pitié pour moi-même ! Si vous m’aimez, éloignez-vous au nom du ciel… - Jehan, je ne puis vous quittez. Le Frère Hermant et le médecin arrivèrent chez Jehan. Il avait non seulement les symptômes, mais tous les caractères de ce mal sinistre. Depuis quinze jours, c’était le troisième cas de l’espèce qui se déclarait dans les environs et si l’on voulait prévenir la contagion il fallait agir sans retard. Il fut décidé de l’envoyer au plus tôt à la maladrerie de La Haisse. Le départ du pauvre lépreux fut arrêté : il devait partir le surlendemain pour l’hospice où la courageuse jeune fille se chargeait de le conduire. ———
L’hospice ou maladrerie de La Haisse est situé au nord et à une lieue de Durbuy, sur l’une des plus imposantes hauteurs de l’Ardenne. De ce point, le regard du spectateur embrasse un paysage grandiose, un immense horizon : d’un côté les vagues de verdure de la forêt de Viné ondulent au souffle des vents, de l’autre une foule de montagnes aux formes variées, la plupart incultes, surgissent de toutes parts pour compléter ce magnifique tableau devant lequel chacun est frappé d’un religieux respect. La nature, du haut de ce sommet biblique, semble l’accabler du poids de sa majesté sévère et lui imposer l’épreuve salutaire de la piété et de la contemplation. Des bois de sapins, des touffes de genévriers, quelques champs conquis sur l’aride bruyère, des clochers aigus révélant le temple des chrétiens, cher au montagnard qui s’y repose de ses labeurs et y puise la force pour les recommencer. Quelques murs intacts, les débris de la chapelle, dédiée autrefois à sainte Madeleine, voilà ce qui reste aujourd’hui de l’antique hospice de La Haisse. Il résulte d’une notice manuscrite et d’une correspondance de 1593 qu’un seigneur de Durbuy a fondé, au XIVe siècle, un hôpital avec chapelle à La Haisse. Le bâtiment principal était entouré de maisonnettes pour le logement des malades ou lépreux. D’après les comptes, les dotations, aumônes et libéralités du fondateur et des autres personnes charitables consistaient annuellement en 31 muids d’épeautre et 6,5 muids d’avoine, en 21 florins de Brabant de rente et 12 escalins provenant de la location d’une prairie. Selon les titres de la fondation, le curé de Tohogne avait droit pour les messes qu’il disait dans la chapelle à 2 muids d’épeautre, un muid d’avoine et à un écu. Le prix des choses nécessaires à la chapelle était prélevé sur les revenus dont il fallait déduire aussi 4 muids pour le mambour, préposé à la recette. Le surplus des rentes et des revenus, lorsqu’il n’y avait pas de malades à l’hôpital, était distribué en aumônes annuelles, par ordre du seigneur aux pauvres de Durbuy et des quatre cours dépendantes de la seigneurie. Le seigneur donnait des instructions à cet effet au mambour, receveur particulier nommé par lui. Les comptes se rendaient par le mambour, par-devant les prévôts et échevins de la cour de Durbuy, en présence du seigneur du lieu. ———
Les adieux de la vieille mère et de son malheureux fils furent déchirants. Jehan avait le visage couvert d’un voile percé de deux trous ; celui-ci masquait son mal et lui garantissait la figure des insectes et de la poussière. Aubinette accompagna donc son promis jusqu’à La Haisse. Chemin faisant, sous un soleil de plomb, ils firent une halte « fraîcheur » sur les bords du ruisseau de Sainte-Geneviève. Puis, empruntant un sentier peu fréquenté, ils se perdirent dans la forêt. Et le jeune homme, très éprouvé, s’évanouit. Aubinette crut qu’il allait expirer… Elle eut beau éponger la figure et les mains de l’infortuné, Jehan restait inanimé… Alors, pâle comme la mort, elle tomba à genoux et pria. Elle fit le vœu d’entrer comme Récollectine au Couvent de Durbuy, si Jésus et Marie qu’elle implorait, rappelaient Jehan à la vie et le guérissait. Une cloche toute proche se fit entendre : c’était celle de l’hospice ! Rapidement, elle se dirigea au son de la cloche et aperçut l’hospice situé en lisière de la forêt. Bientôt, elle revint accompagnée de l’ermite Jean et d’un hospitalier. Le jeune homme, toujours évanoui, fut transporté dans une petite maisonnette qui l’attendait. Dès que Jehan fut étendu sur son lit, on lui administra un fort émétique. Bientôt, il souleva les paupières et son regard chercha Aubinette. Alors, elle ressentit un sentiment puissant. Elle aimait Jehan et se savait aimée. Bientôt il lui fallut reprendre le chemin de Durbuy. Elle était consciente de la gravité de la maladie. Les frères hospitaliers ne lui avaient pas caché la réalité : le mal n’était qu’à son début. A Durbuy, chacun loua le dévouement de l’orpheline qui contrastait avec l’abandon dans lequel on laissait les autres lépreux à La Haisse. La peur hideuse fut la cause que, bientôt, Aubinette fut tout à fait délaissée. On redoutait au plus haut degré la contagion et personne n’ignorait que la jeune fille était souvent en contact avec le malheureux Jehan. Elle se rendait le jeudi et le dimanche de chaque semaine à La Haisse et, plus souvent quand c’était nécessaire. « Elle était comme une colombe blanche au milieu de noires corneilles. » Tous les dimanches, l’orpheline allait entendre la messe à la chapelle de La Haisse ; elle y communiait aux côtés de son ami. La santé de Jehan ne s’améliorait pas ; sauf les mains restées intactes, la lèpre continuait ses ravages. Le printemps avait, il est vrai, exercé une influence salutaire sur l’esprit du malade. Il fut pourtant bientôt obligé de garder le lit. Aubinette trouvait le moyen de venir plus souvent à l’hospice. Un célèbre médecin bruxellois, M. Van Duerne, ami du comte de Grobendoncq, fut invité à se rendre en toute hâte à Durbuy car le jeune fils du comte était gravement malade. Il le fit transporter dans le midi de la France afin d’arrêter les progrès de la maladie. La nièce de la comtesse, Alice de Mirecourt, intéressa l’illustre médecin au sort de l’infortuné Jehan. Ce docteur accepta de l’ausculter, ce qu’il fit sans tarder. Il rencontra alors Aubinette et lui dit : -Maintenant, tu peux être rassurée sur le sort de ton ami ; je réponds de sa guérison ! L’orpheline poussa un cri aigu qui fut suivi de larmes et de sanglots. Elle remercia du fond du cœur l’excellent praticien puis elle bondit comme une biche vers la demeure de son ami. Au XVIIe siècle, la lèpre était en décroissance et l’art médical faisait des progrès. Le docteur put se convaincre, en visitant Jehan avec soin, que les organes vitaux avaient peu souffert et, vu sa robuste constitution, il prescrivit un changement complet de régime. L’exercice, une nourriture fortifiante, le grand air, une propreté extrême, des bains sulfureux, telle fut la base du nouveau traitement dont l’illustre médecin attendait, avec raison les meilleurs résultats. La confiance était revenue au cœur de Jehan, mais à l’instar des convalescents, il était mélancolique. Il se sentait néanmoins heureux d’entrevoir la fin des ses tourments et de sa cruelle maladie. Au bout d’un mois, Jehan regagna une partie de ses forces et, chose remarquable, les taches violettes qui marbraient ses joues disparurent à vue d’œil. Jehan était donc en parfaite voie de guérison. Et, par une matinée de juin, Aubinette vint lui annoncer qu’enfin ils allaient définitivement quitter La Haisse ensemble. La joie la plus pure inondait l’âme de nos héros, jugez-en : quand, cette fois, ils descendirent la montagne, Jehan donnait le bras à sa bien-aimée ! Il avait regagné toute sa vigueur, marchait rapidement, entraînant avec lui sa douce compagne. Tout à coup, l’orpheline pâlit et voulut retirer sa main de celle de Jehan. Celui-ci, effrayé, lui demanda ce qu’elle avait. Aubinette venait de reprendre conscience du vœu qu’elle avait fait naguère, mais elle se contenta de banaliser sa réaction. Jehan, jamais il ne lui était apparu plus beau, plus aimant et plus sympathique. Aubinette parvint finalement à imprimer un autre cours aux pensées de Jehan. Ils quittèrent le vallon et Jehan retrouva les bras de sa vénérable mère dont les larmes abondantes témoignaient d’un bonheur infini. Madeleine attira alors Aubinette contre sa poitrine et lui dit : - Mon enfant ! c’est grâce à toi seule que mon fils a été sauvé ! Aubinette fondit en larmes, le cœur soumis à des sentiments bien complexes. Le lendemain du jour où l’orpheline avait fait le vœu dont les conséquences allaient être si graves, elle s’était empressée de le confier au Frère Hermant, son confesseur. Celui-ci en éprouva de l’inquiétude. En apprenant que Jehan était hors de danger, il se rappela le vœu de sa protégée et s’en émut. Sur ces entrefaites, le conte de Grobendoncq eut besoin d’une personne de confiance pour remettre un message important à son frère Monseigneur l’évêque de Namur ; le digne Hermant, chargé par le châtelain de ce soin, y consentit d’autant plus volontiers que cela lui fournissait l’occasion de demander une solution concernant le vœu fait par l’orpheline de Durbuy. Le vénérable prélat, parfaitement renseigné sur toutes les circonstances qui avaient précédé et suivi le vœu de la jeune fille, n’hésita pas à déclarer qu’il l’en relevait complètement. De plus, il remit au moine un autographe revêtu du sceau épiscopal qui autorisait sire Rémaclo Moncinelli, alors curé de Durbuy, à consacrer l’union de Jehan et d’Aubinette. D’un pas allègre et diligent, il reprit le chemin de Durbuy. Dans sa petite chambre, Aubinette s’apprêtait à répondre à son vœu. Elle venait de revêtir ses habits de deuil ; sur la table, les froids ciseaux étaient prêts à dépouiller sa tête blonde de leur soyeux diadème. Son front était mélancolique et de grosses larmes coulaient sur ses joues pâles. Soudain, la voix joyeuse de Frère Hermant se fit entendre sur le seuil des deux chaumières : - Aubinette ! Jehan ! Madeleine ! Une minute plus tard, ils étaient réunis tous les quatre dans la chambre de la veuve. Notre plume est impuissante à reproduire la scène de félicité qui s’ensuivit. Nous nous bornerons à dire que le mariage d’Aubinette avec Jehan eut lieu le jour de la Sainte-Madeleine, que le comte et la comtesse de Mirecourt signèrent le contrat et qu’enfin, par une grâce toute spéciale, le Frère Hermant présida à la cérémonie nuptiale. Ajoutons qu’un an après cette heureuse union, vers la fin d’une magnifique soirée d’été et sur le seuil des deux chaumières qui alors ne formaient plus qu’une habitation, la bonne Madeleine, devenue aïeule, berçait un charmant petit garçon sous les regards ravis de Jehan et Aubinette. Ainsi Dieu aima, éprouva et récompensa le bon Jehan et la dévouée orpheline de Durbuy. Cher Durbuy, antique cité ! combien d’événements se sont passés au milieu de ton enceinte granitique ! Beaucoup de choses sont tombées en ruine, ensevelies dans un profond oubli. Néanmoins, au sommet de la montagne, La Haisse reste debout pour nous remémorer l’une des plus belles pages des temps reculés, une œuvre de charité, une œuvre chrétienne pour tout dire. Oui, avec l’aide de Dieu, l’œuvre fondée au Moyen âge, subsistera aussi longtemps que nos rochers séculaires, c’est-à-dire tant qu’il y aura un montagnard dévoué à l’honneur, au saint respect de ses aïeux et à la Foi. (1) A 16 ans, rarement la bonté et l’innocence avaient rayonné sur plus doux visage. Ses yeux étaient tendres et bleus comme le myosotis. Son sourire avait une douceur exquise : son petit front était encadré par de beaux cheveux blonds et brillait d’une grâce virginale ; sa taille élancée avait la flexibilité du roseau. Bien que déjà grande et forte pour son âge, sa physionomie restait empreinte de cette douceur sereine, de cette candeur angélique, reflets d’une âme paisible et pure qui s’ignore encore, mais dont l’épanouissement est proche. (2) Jehan était devenu un beau et vigoureux jeune homme, aux traits harmonieux, à l’air décidé. On n’avait qu’à jeter un coup d’œil sur sa loyale physionomie, hâlée par le soleil et le grand air, pour se dire : « Voilà un brave et honnête montagnard ! ».
Les lépreux dans les Pays-Bas (du XIIe au XVIe siècles)
(Extrait du livre "Fastes des calamités publiques survenues dans les Pays-Bas et particulièrement en Belgique, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours - Epidémies, famines, inondations" écrit par Louis TORFS et édité par H. Casterman en 1859.) (PDF) Téléchargeable (86 Ko)Le lecteur "Acrobat Reader" est nécessaire (en téléchargement gratuit)
Les Grands-Malades
(Larges extraits d'une étude rédigée par Jules Borgnet et parue dans les "Annales de la Société Archéologique de Namur", Tome Premier, 1849) (PDF) Téléchargeable (462 Ko)
L’isolement des lépreux au Moyen Âge et le problème des « lépreux errants »
(édité par la Fédération des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie de l’Aisne, Mémoires, par A. MOREAU-NERET, t. XVI, pp. 22-36, 1970) (PDF) Téléchargeable (69 Ko)
Notice sur les léproseries et les maladreries des Ardennes, au moyen âge
La lèpre, maladie propre aux contrées orientales, fut apportée en France par les Croisés dans le XIIe et le XIIIe siècles. Le Gouvernement et l’Eglise s’unirent pour la combattre. On bâtit partout des hospices dans des lieux écartés des habitations, mais près des grands chemins, pour renfermer les malheureux qui en étaient atteints. On nommait ces maisons ladreries, parce qu’elles étaient dédiées à saint Lazare, que le peuple, par corruption, appelait saint Ladre. Matthieu Paris comptait dix-neuf mille maladreries dans la chrétienté. Louis VIII, par son testament fait en 1225, lègue cent sous, qui reviennent à près de cent livres de notre monnaie, à chacune des 2.000 léproseries de son royaume. La libéralité des grands et la charité des fidèles dotèrent les hôpitaux. Thibaud IV, comte de Champagne, en prenait un soin particulier. Partout où il se trouvait, deux de ses aumôniers, chanoines de l’ordre des Prémontrés, visitaient les lépreux et leur distribuaient abondamment la nourriture qu’ils prenaient de la table même de ce prince. Les évêques instituèrent des exorcismes et des cérémonies lugubres pour convaincre les lépreux qu’étant membres retranchés de la société, et entièrement morts au monde, ils ne pouvaient avoir commerce avec les hommes sains, et qu’ils devaient se regarder comme des cadavres ambulants auxquels Dieu daignait conserver un souffle de vie pour leur donner le temps d’expier leurs péchés. Le XVIe canon du concile de Compiègne, tenu en 756, porte « qu’un lépreux dont la femme est saine, peut, s’il le veut, lui permettre de se marier à un autre », ce qui est peu conforme à la doctrine de l’Eglise sur l’indissolubilité du mariage (1). Le 3e concile général de Latran, tenu en 1179, déclare, par son 23e canon, que « partout où les lépreux seront en assez grand nombre vivant en commun, pour avoir une église, un cimetière et un prêtre particulier, on ne fera aucune difficulté de le leur permettre, et qu’ils seront exempts de payer la dîme des fruits de leurs jardins, et des bestiaux qu’ils nourrissent ». Enfin le 5e canon du concile de Nogarol, tenu en 1290, excepte les lépreux de la juridiction des juges séculiers, et leur ordonne de porter une marque distinctive, à peine de cinq sous d’amende; — « apparemment, dit l’abbé Fleury, comme étant sous la protection de l’église, qui les séparait du reste du peuple par une cérémonie que nous lisons encore dans les Rituels ». Ces malheureux, que l’on désignait encore par le nom de méseaux, étaient tenus de porter un costume spécial : un chapeau écarlate et un long bâton les faisaient reconnaître ; le bruit de leur cliquette ou morceaux de bois qu’ils frappaient l’un contre l’autre, avertissait de leur approche, et les passants s’éloignaient pour éviter la contagion. Lorsqu’il n’y avait pas de maladrerie où le lépreux pût être enfermé, on lui bâtissait une maison qui était soutenue par quatre poteaux, et qui, à la mort du lépreux, devait être brûlée avec lui et ses vêtements. Elle était construite à vingt pieds du chemin. Les lépreux étaient conduits à la maladrerie en procession et avec des cérémonies dont les anciens rituels, nous l’avons déjà dit, nous ont conservé le détail. Un prêtre allait chercher le lépreux dans le lieu qu’il habitait et le conduisait à l’église étendu sur une civière et couvert d’un drap noir, comme un mort. Il chantait le Libera en faisant la levée du corps. A l’église, on célébrait la messe indiquée par le rituel pour ces cérémonies. Après la messe, on portait le lépreux, toujours couvert d’un drap noir, à la porte de l’église ; le prêtre l’aspergeait d’eau bénite, et on le conduisait processionnellement hors de la ville en continuant de chanter le Libera. Lorsque le cortège était arrivé à l’hôpital situé hors de la ville, le prêtre adressait les défenses suivantes au lépreux qui se tenait debout devant lui : « je te défends d’entrer dans les églises, aux marchés, aux moulins, fours et autres lieux, dans lesquels il y a affluence de peuple. Je te défends de laver tes mains et les choses nécessaires pour ton usage dans les fontaines et ruisseaux, et, si tu veux boire, tu dois puiser l’eau avec un vase convenable. Je te défends d’aller en autre habit que celui dont usent les lépreux. Je te défends de toucher aucune chose que tu veux acheter avec autre chose qu’avec une baguette propre pour indiquer que tu les veux acheter. Je te défends d’entrer dans les tavernes et maisons hors dans celle en laquelle est ton habitation, et, si tu veux avoir vin ou viandes, qu’ils te soient apportés dans la rue. Je te commande, si aucuns ont propos avec toi ou toi avec eux, de te mettre au-dessous du vent, et ne faut que tu passes par chemin étroit pour les inconvénients qui en pourraient advenir. Je te commande que, le cas advenant où tu sois contraint de passer par un passage étroit où tu serais contraint de t’aider de tes mains, ce ne soit pas sans avoir des gants. Je te défends de toucher aucunement enfants quels qu’ils soient, et de leur donner de ce que tu auras touché. Je te défends de manger et de boire en autre compagnie que de lépreux, et sache que quand tu mourras et sera séparation de ton âme et de ton corps, tu seras enseveli en ta maison, à moins de grâce qui te serait accordée par le prélat ou ses vicaires. » La lèpre était regardée comme une punition de Dieu. On l’appelait le mal sacré. Les ecclésiastiques, déjà chargés du soin des pauvres, devinrent les tuteurs des ladres. La propriété des léproseries appartint à l’Église, et les lépreux en furent les serfs, ce qui donnait à ces maisons le privilège d’être exemptes de taille. Les règlements sanitaires concernant les lépreux étaient des plus sévères. Il leur était prescrit, on l’a vu, de ne point toucher les objets qu’ils marchandaient, avant qu’ils leur appartinssent, de se tenir toujours au-dessous du vent, quand quelqu’un leur parlait; de sonner leur cliquette lorsqu’ils mendiaient; de ne passer ponts ni planches sans gants. Ils ne pouvaient encore aller au loin sans congé du curé et de l’official. Condamnés longtemps à ne s’allier qu’entre eux, ils devinrent comme les juifs, une espèce de peuple étranger, exposé au mépris et à l’insulte. L’influence du climat, l’usage du linge et un plus grand soin de la propreté firent disparaître la lèpre. Il restait très peu de lépreux à la fin du XVe siècle ; mais l’opinion générale les repoussa longtemps, et la possession de leurs maladreries servit à perpétuer le préjugé qui les flétrissait. Enfin, de plus grands changements ont effacé pour toujours ces faibles restes d’une législation dont le succès fut complet, puisqu’elle devint inutile. Louis XIV a réuni les léproseries aux Hôtels-Dieu et autres établissements de charité, en 1695, 1696, 1697 et 1700. Voici les noms que nous avons recueillis pour celles appartenant aux Ardennes : Attigny, Avaux ou Asfeld-la-Ville, Avaux-le-Château, Balham, Beaumont-en-Argonne (2), Bourcq, Château-Porcien (3), Chesne-le-Populeux (4), Grandpré, Maubert-Fontaine, Mézières (5), Monthermé, Mouzon, Omont, Rethel, Rumigny, Semuy, Voncq, Yvois-Carignan. Par arrêt du Conseil du 11 février 1695, et lettres patentes, registrées au Parlement de Paris le 5 juillet 1696, il est ordonné, en raison de l’union portée par ledit arrêt et lettres patentes, que l’Hôtel-Dieu de Rethel jouira des biens et revenus des maladreries de Balham, d’Avaux-le-Château, de Semuy, d’Avaux-la-Ville, de l’hôpital, maison Dieu et chapelle d’Attigny, et du quart du total des revenus des maladreries d’Omont et de Bourcq. Par autre arrêt du Conseil du même jour 11 février 1695 et lettres patentes, il est ordonné en conséquence de l’union portée par ledit arrêt et lettres patentes, que l’Hôtel-Dieu de Mézières jouira des biens et revenus des maladreries de Saint-Lazare de Mézières, de Sainte-Brigitte de Maubert-Fontaine et de Monthermé. Par autres arrêts du Conseil des 11 février et 2 décembre 1695, et lettres patentes registrées au Parlement de Paris le 29 avril 1696, il est ordonné que l’hospitalité sera rétablie pour les pauvres malades à l’Hôtel-Dieu ou hôpital de Mouzon; et qu’en conséquence des unions portées par lesdits arrêts et lettres patentes, l’Hôtel-Dieu ou hôpital de Mouzon, jouira des biens et revenus des maladreries de Mouzon, de Beaumont-en-Argonne (6) et de la chapelle de Sainte-Marguerite de Grandpré (7). Par autre arrêt du Conseil du 10 décembre 1700, il a été ordonné que les biens et revenus de l’hôpital des pauvres passants du lieu du Chesne-le-Populeux, seront unis à l’hôpital général de Sedan, sous le titre de l’hôtel de la Miséricorde. Il y avait une maladrerie dépendante d’Yvois-Carignan dont l’origine remontait au XIIe ou au XIIIe siècle. Elle était située dans un lieu écarté, au-dessous du hameau de Vué, sur le ruisseau de l’Aulnois, près le grand chemin qui conduit à Sedan. On conservait dans les archives du chapitre d’Yvois-Carignan, une pièce relative aux frères qui administraient cet hospice. La maladrerie de Rumigny fut unie en 1613 au couvent des Minimes de Guise. Il existait autrefois à Voncq un hôpital pour les ladres. Il fut réuni à l’hospice général de Reims : c’est aujourd’hui la ferme de Beaufaï, qui est une dépendance de Voncq. Rethel possédait une maladrerie presque aussi ancienne que la ville; on y disait chaque année cinq messes basses, à la Notre-Dame de mars, le mardi de la Pentecôte, le jour-même de cette fête, à la Notre-Dame d’août, à la Nativité et le vingt-deux octobre, jour anniversaire de la bénédiction de l’autel. Il y avait des indulgences attachées à ces messes. La lèpre régnait à Rethel au commencement du XVe siècle, et l’on est porté à croire, d’après les comptes particuliers de la ville, qu’elle y existait encore à la fin du XVIe. En 1458, un rethelois, nommé Baudesson Guarin, fut déclaré lépreux et mis hors de la société. En l’envoyant à Saint-Ladre, les échevins lui assignèrent par an neuf livres douze sols et ils lui donnèrent du linge, des habits et divers ustensiles dont on trouve le détail dans les comptes de l’année. On a payé : 1° A celui qui a célébré et dict la messe et fait le service quant icelui Braudesson fut mené à Saint-Ladre, dix sols; — 2° pour une livre de cire en luminaire pour faire le service d’icellui quand il fut mis hors, quatre sols; — 3° trois aulnes de drap camelin pour faire sa robe, chaque aulne à six sols quatre deniers, dix-neuf sols ; — 4° façon de la robe et fil, trois sols; — 5° pour un lit, quarante-deux sols ; — 6° une paire de draps en lit, un aindye, quatre aulnes de toile pour faire des chemises audit Baudesson, vingt-trois sols quatre deniers; — 7° une autre paire de draps, sept sols; — 8° un couvertoire de lit, huit sols; — 9° une payelette d’airain, un bassin, une paire de gants, une sainture, un coustel et un entonnoir, sept sols huit deniers; — 10° une paire de souliers, trois sols quatre deniers; — 11° une hugette fermant à clef et une cramière, sept sols huit deniers; — 12° un baril de bois, seize deniers; — 13° un pot de terre, deux quilliers, une escuelle de bois, dix deniers; — 14° une cliquotte, six deniers; — 15° pour avoir faict un chaslit, une table, une selle, refaicte la maison d’estrain et de mortier, faict une croix au devant luis du dit Baudesson, deux sols huit deniers. Différents édits de 1495, de 1511 et de 1520 renferment des articles relatifs aux lépreux, mais depuis 1572 il n’est plus question de lèpre ni de lépreux, ce qui prouve qu’à cette époque cette terrible maladie avait complètement disparu. Edmond SÉNEMAUD
(Notice extraite de la « Revue historique des Ardennes » - Volume 3 - 1865, pp. 177-183.)
(1) Ce concile fut tenu par les soins de Pépin, dans l’assemblée générale du peuple, et par conséquent composé d’évêques et de seigneurs, suivant l’usage du temps. Presque tous les canons de ce concile ont rapport aux mariages. (2) Le 12 mai 1224, le pape Honorius III mit les lépreux de Beaumont avec leur maison et tous leurs biens sous sa protection. (3) La maladrerie de Château-Porcien, de 300 livres de revenu, était à la nomination du duc de Mazarin. (4) La maladrerie du Chesne, d’un revenu de 120 livres, était à la nomination de l’archevêque de Reims. (5) La maladrerie, de 800 livres de revenu, était à la nomination du Roi. (6) La léproserie de Mouzon, bâtie en 1201, sous le titre de Saint-Nicolas, était située sur le grand chemin de Sedan à gauche, près d’une maison appelée Belle-Aire en Bourgogne. En 1143, les frères de cet hospice furent condamnés par une sentence de l’official à payer, suivant la coutume, les dîmes des terres sises dans le champ de Flavy, et du lieu où il y avait des vignes. (Richer, Hist. chronol. de Mouzon.) (7) En vertu desdits arrêts et lettres patentes, les habitants de Grandpré avaient droit de mettre à l’hôpital de Mouzon un pauvre pour y être nourri et entretenu. Les habitants de Beaumont avaient droit à deux places pour leurs pauvres. SOURCES : Pelletier, Hist. des comtes de Champagne, t. I ; — Delahaut, Annal. d’Yvois-Carigan; — D. Le Long, Hist. de Laon; — Archives départementales des Ardennes, Série C. ; — Bouhon, Almanach des Ardennes pour 1791 ; — Jolibois, Hist. de la ville de Rethel ; — Boulliot, Notes manuscrites.
Des léproseries de Genève au XVe siècle
(Extraits du mémoire écrit par le Dr J.-J. Chaponnière publié en 1841 par la Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève) – Il a puisé ses sources dans le document rédigé en 1446 par Barthélémy, évêque de Corneto et de Montefiascone qui visita et réforma les hôpitaux et les léproseries de la ville de Genève sous le pontificat de Félix V – Cela nous éloigne de notre « Terre de Durbuy », mais il nous a semblé très intéressant de vous faire partager ce texte qui apporte bien des précisions et lève bien des contrevérités concernant le sort réservé aux lépreux.
Des maladies qui ont affligé l’humanité, la lèpre est sans contredit une des plus anciennes. Son nom se retrouve lié à l’histoire de tous les peuples de l’antiquité, et partout le législateur avait soumis à des lois spéciales les malheureux atteints de ce fléau. La plus ancienne des ordonnances qui ait paru en France sur cette matière est un édit de Pépin-le-Bref donné à Compiègne l’an 757. Il porte que si un homme lépreux a une femme saine, elle pourra (du consentement de son mari) se séparer d’avec lui et en épouser un autre, et que cette même loi sera réciproque en faveur d’un mari sain dont la femme sera lépreuse. Charlemagne par une ordonnance de l’an 789 fit défense aux lépreux de se mêler avec le peuple. Au XIe siècle, les croisades vinrent donner au fléau une violence et une intensité inconnues jusqu’alors, et d’un bout de l’Europe à l’autre cette affection redoutable jeta de profondes racines. Partout on s’efforça d’en arrêter les progrès, partout on adopta contre les lépreux des mesures rigoureuses. Tout individu soupçonné de la lèpre était soumis à l’examen d’un homme de l’art. L’existence de la maladie constatée, le magistrat s’emparait de la personne du lépreux pour en disposer suivant la loi du pays. En général, les villes, les bourgs, les villages étaient tenus de faire construire pour chaque lépreux, leur ressortissant, une petite maison de bois sur quatre étaies, et après sa mort, la maison et tout ce qu’elle contenait était livré aux flammes. Mais le nombre de lépreux croissant de jour en jour, on ne pouvait plus continuer à élever à chacun d’eux une petite maison ; on songea à en réunir un certain nombre dans un lieu commun appelé ladrerie, maladrerie, léproserie, lazaret, mezellerie, parce que les lépreux s’appelaient aussi ladres, miselli ou mezeaux (mezel au singulier). Leur entretien en devint ainsi moins dispendieux, leur séquestration plus exacte, les soins qu’ils exigeaient plus réguliers. Au 13e siècle, le nombre de ces établissements dans la chrétienté s’élevait à 19.000 et Louis VIII en dota dans son testament 2.000 qui existaient en France. Chaque ville eut alors sa léproserie ; un grand nombre en eurent plusieurs. Des ordres de chevalerie se consacrèrent au service des lépreux, et même les chevaliers de Saint-Lazare, qui s’occupaient exclusivement de leur prodiguer leurs soins, devaient toujours avoir un lépreux pour grand maître. Saint Louis ramena en France douze de ces chevaliers auxquels il confia la surveillance des hôpitaux et léproseries, tâche dont ils s’acquittaient si bien dans le Levant. Les hommes les plus élevés en dignités rendaient aux lépreux les soins les plus repoussants. Robert I, fils de Hugues Capet, introduisit cet usage en France en 1030. Cette dévotion aux lépreux fait comprendre comment les léproseries purent acquérir de grandes richesses, par les donations des souverains et la générosité des particuliers. Ces richesses leur attirèrent probablement une rude persécution sous Philippe V, qui les accusa d’avoir conspiré avec les Juifs pour empoisonner les chrétiens, en fit brûler un grand nombre et s’empara de leurs biens. Les ravages exercés par la lèpre commencèrent à diminuer sur la fin du quinzième siècle, et dans le seizième elle s’adoucit tellement, que l’une de ses formes (l’éléphantiasis) devint excessivement rare. Les différentes autres maladies de la peau, connues sous le nom de lèpre, continuèrent plus longtemps, mais diminuèrent insensiblement, et peu à peu les léproseries tombèrent en décadence, furent détruites ou affectées à d’autres emplois. En France, François 1er, par une déclaration du 19 décembre 1543, ordonna de revoir les privilèges des maladreries, d’y spécifier le nombre de lépreux, et de n’y soigner que les véritables ladres. Deux édits, l’un d’Henri IV de 1606, l’autre de 1614, réformèrent encore les léproseries. L’on découvrit qu’un grand nombre de vagabonds se faisaient recevoir, à titre de lépreux, dans les lazareths pour y entretenir leur oisiveté. Ils avaient des secrets pour se donner l’apparence de la lèpre en se frottant de certaines herbes. En 1626, deux médecins et un chirurgien durent visiter les lépreux dans toutes les provinces du royaume, et à la suite de leur rapport et des dernières mesures qu’ils firent prendre, cette affreuse maladie disparut presque entièrement. Enfin Louis XIV partagea les biens des léproseries entre les carmélites, l’ordre de Saint-Lazare et les pauvres, et ne conserva qu’un seul hôpital pour tous les lépreux de France, celui de Saint-Mesmin près Orléans. Dès les temps les plus anciens, Genève avait des léproseries que Grillet dit avoir été fondées vers 1260 par les évêques. Ces léproseries existaient à Carouge et à Chêne. La maladière de Carouge et sa chapelle dédiée à Saint Nicolas, étaient dans la paroisse de Saint-Léger près de Genève ; la maladière de Chêne et sa chapelle sous le vocable de Sainte-Marie-Madeleine, étaient dans la paroisse de Saint-Pierre-de-Thonnay. L’administration de chaque maladière était confiée au curé de la paroisse, à un économe, un trésorier et un prieur ; les trois derniers étaient élus par les lépreux, et nous verrons plus bas quelle part les malades eux-mêmes prenaient à la direction de l’établissement qui les renfermait.
De l’office du curé
Le curé était le supérieur immédiat, le protecteur, le gouverneur de la léproserie. Chaque semaine, à un jour fixe, il devait dire après le lever du soleil une messe pour les morts. Le jour de la fête de Saint-Nicolas et celui de la Sainte Vierge, il devait faire tout l’office ; s’il y manquait, le prieur des lépreux en prenait note, et il payait une amende d’un gros et demi pour chaque messe ou heure qu’il avait négligée ; le produit de cette amende servait à faire dire une autre messe par un autre prêtre. Toutes les offrandes ou donations qui se faisaient sur les autels, ou dans les chapelles sus-mentionnées, appartenaient au curé sans condition. Il était tenu d’administrer les sacrements aux lépreux. Toutes les années, pour l’allégement des péchés des pauvres lépreux, on disait quatre messes et on faisait une procession sur leurs tombes ; de plus, à chaque mort, le curé faisait tout l’office et faisait dire trente messes pour l’âme du défunt. Si un lépreux manquait à la règle, il pouvait être condamné par le curé à la prison pour un jour, et à payer cinq sous au plus. Si le délit était plus grave, le curé ne pouvait punir que du conseil et de l’assentiment de la cour de l’official, qui entendait la défense présentée par l’avocat ou le procureur des pauvres. Chaque maladière avait une chambre fermée par une porte très forte et une bonne serrure ; n’ayant ni fenêtre, ni lit, mais seulement de la paille, où l’on enfermait les délinquants en les tenant au pain et à l’eau ; il n’y avait cependant en ce lieu ni chaînes, ni instruments de prison. Le curé en avait toujours la clef. – Le jour de la fête du patron, après la grande messe, le curé, conjointement avec l’économe, le trésorier et le procureur des pauvres, visitait toutes les chambres des malades et l’établissement en entier, et l’on convenait des réparations à faire ; les malades consultés payaient eux-mêmes celles de leur domicile ; la fabrique supportait les frais de celles du reste de la maladière. Comme personne n’est forcé de faire la guerre à ses dépens, et qu’il n’est point inconvenant que celui qui sème les choses spirituelles moissonne les choses charnelles (ce sont les propres termes de l’édit), l’on donnait chaque année au curé, pour ses peines et pour les charges qu’il avait à supporter, douze florins et six octaves de froment, et il participait aux lods et aux ventes comme un des lépreux. A la mort d’un des membres de la communauté, le curé recevait aussi quatre florins pour la sépulture et les messes à dire, pris sur les biens du défunt, ou, s’il n’y avait pas lieu, sur la bourse de la fabrique. Les parents du décédé pouvaient aussi faire faire une cérémonie plus ample à leurs frais.
Du mode de réception des lépreux
En vertu de la sainte obédience, et sous peine d’excommunication, les syndics de la ville de Genève et les procureurs des paroisses dépendant des maladières de Carouge et de Chêne devaient, lorsqu’un bourgeois de l’un ou l’autre sexe, un habitant de la cité, ou un ressortissant des paroisses susdites, clerc, prêtre ou laïque, de quelque état, ordre ou condition qu’il fût, était infecté de la lèpre, le faire entrer par l’intermédiaire de l’official de Genève, de gré ou de force, dans la maladière à laquelle il appartenait. Si le cas de lèpre était douteux, alors à l’instance des syndics pour ceux de la ville, et des procureurs des paroisses pour leurs paroissiens, l’official de Genève jugeait en dernier ressort, sur le rapport et le conseil de médecins et de chirurgiens habiles, à qui on faisait prêter un serment solennel. Si un bourgeois ayant un domicile fixe ou un bénéfice dans la ville ou les paroisses, et jugé lépreux, ne voulait pas se rendre à une des maladières, et s’adressait à une autre juridiction, il encourait une amende de cent florins, applicables à la maladière à laquelle il aurait dû se rendre. Lorsque le jugement qui constatait la maladie avait été rendu, le curé et l’économe de la maison où devait entrer le condamné, le trésorier, le procureur et l’avocat des pauvres se réunissaient dans la ville et requéraient les syndics de rassembler le conseil secret. Celui-ci était convoqué sans délai au lieu habitué, et élisait deux bourgeois probes, capables, non suspects et qui n’avaient aucun lien avec le lépreux, et ils juraient entre les mains de l’official de Genève, en présence du curé, du trésorier, du procureur des pauvres et du lépreux, d’estimer fidèlement tous les biens meubles ou immeubles de ce dernier, qui prêtait serment lui-même de les déclarer sans fraude. Après ces formalités, les deux commissaires faisaient une exacte et diligente recherche de toutes les propriétés du lépreux, les estimaient en florins de Savoie et en rapportaient le nombre total à l’official, en présence du curé, de l’économe, du procureur des pauvres et du lépreux. Cette évaluation faite, le lépreux ayant des enfants légitimes payait 10 florins sur cent au moins, destinés à être convertis en revenus de la maladière, pour sa part de prébende et les autres charges de l’établissement. S’il n’avait point d’enfants, il payait 20 florins sur cent. Si le lépreux avec ou sans enfants était de faculté médiocre, il payait 10 florins ; s’il était plus aisé, 20 florins (au jugement des deux commissaires, du curé, du trésorier et du procureur) pour la réparation de la chambre qu’il allait occuper ou d’autres lieux de la maladière. Les mêmes personnages percevaient encore sur les biens du lépreux, un lit garni, de la vaisselle de cuisine, pour l’usage de sa chambre et de sa personne… Si le lépreux était tout à fait indigent, ses amis et l’économe, devaient le conduire dans toutes les églises de la ville, les jours de fête ; là le curé et les religieux le recommandaient à la charité des fidèles ; on l’accompagnait aussi dans les rues fréquentées, en sollicitant pour lui les marchands, ses parents et ses amis. Lorsqu’il avait de cette manière recueilli au moins 20 florins pour les revenus de la maladière, 5 florins pour la fabrique, un lit et quelques meubles indispensables, on le recevait. Cependant si malgré tous ses efforts et ceux des personnes qui l’escortaient, il ne parvenait point à se procurer toute cette somme et ces objets, la malalière était, quand même, obligée sous peine d’excommunication de l’admettre, et la fabrique de suppléer du mieux possible à ce qui manquait. – Si le lépreux était clerc ou prêtre sans bénéfice, on suivait la même règle ; s’il avait un bénéfice, on lui nommait un coadjuteur, et la maladière retirait les revenus du bénéfice jusqu’à la concurrence de 100 florins à convertir en rentes. Il disposait du reste à sa volonté ; s’il voulait d’entrée donner les 100 florins, il pouvait faire ce qu’il voulait de ses revenus et de ses bénéfices… Un étranger qui avait demeuré trois ans dans la ville, et qui y était atteint de la contagion était reçu sans contradiction dans une des maladières en suivant le mode indiqué plus haut. Pour qu’une des léproseries ne fût pas plus chargée l’une que l’autre, on suivait toujours la coutume d’envoyer alternativement les lépreux de la ville à l’une ou à l’autre, mais pour les habitants des paroisses, ils passaient toujours à la maladière dont la paroisse dépendait. Si de deux personnes mariées, l’une était saine, elle pouvait habiter continuellement la maladière dans la chambre de son conjoint, mais à ses dépens ; et même la personne saine pouvait être forcée par voie de droit à se rencontrer quelquefois avec la malade, dans le cas où les deux époux n’auraient pas habité ensemble, et où celui qui n’était atteint d’aucune infirmité aurait refusé de voir l’autre. Si le lépreux avait des fils au-dessous de 12 ans et que ses facultés ne lui permissent pas de pourvoir à leur entretien, la maladière y suppléait. Les filles étaient aidées au-delà de leur douzième année, et la maladière les dotait. Les enfants restaient auprès des parents sains. – Tout étant réglé, les syndics, l’avocat et le procureur des pauvres, le trésorier et un notaire, accompagnés des amis du lépreux, allaient le chercher un matin pour le conduire à la chapelle de sa léproserie ; le curé l’y attendait, prêt à célébrer la messe, il écoutait d’abord la confession du lépreux averti la veille, puis il disait la messe du Saint-Esprit en présence des personnes nommées et de tous les lépreux de l’établissement ; le nouveau lépreux communiait. La messe terminée, l’assemblée entière s’agenouillait et récitait une prière analogue à la circonstance. La prière achevée, le lépreux prêtait serment sur le missel en ces termes : « Moi N. je donne librement et volontairement ma personne (sauf le cas où je recouvrerai la santé) et mes biens tels qu’ils ont été déclarés à mon entrée dans cette maison. Je promets respect et obéissance à l’évêque de Genève, au curé (de Saint-Léger ou de Tonnay) qui sera nommé canoniquement, fidélité à mes frères les lépreux. Mon vote sera toujours donné pour l’avantage de l’établissement suivant Dieu et ma conscience, et j’observerai tous les règlements contenus dans l’édit de réformation. Qu’ainsi Dieu et ses saints évangiles me soient en aide ! ». Alors le lépreux baisait la main de celui qui avait célébré la messe, et lui donnait pour sa peine 3 gros s’il était pauvre, 5 s’il l’était moins. Ensuite le curé le présentait aux lépreux qui le recevaient en lui tendant la main, et il demeurait dans le chœur le dernier à sa place, qui était marquée par l’ancienneté, excepté que les hommes précédaient toujours les femmes. On ouvrait après cela l’arche des écritures en présence de tout le monde et d’un notaire public, et l’on écrivait sur le livre destiné à cet usage le nom du lépreux, l’année, le mois, le jour où il était entré dans la communauté, la cérémonie de son serment et de sa réception, les biens tant mobiliers qu’immobiliers qui lui étaient affectés, le nom des témoins, et enfin celui du notaire. Les biens immobiliers étaient remis à l’administration de l’économe qui les gérait de la manière la plus convenable. L’argent était déposé entre les mains du trésorier (qui, dans 3 mois, à dater du jour de la réception, conjointement avec le curé et l’économe, au su et du consentement des lépreux, le convertissait en rentes perpétuelles). Puis le prieur des lépreux prenait le nouveau venu par la main et le conduisait à la chambre qui lui avait été assignée, précédé du curé qui répandait l’eau bénite et disait une prière. Alors on laissait le lépreux avec ses compagnons, après lui avoir fait une bonne exhortation à la patience. Ce jour-là, tous dînaient ensemble au frais du nouveau venu.
Du mode de vivre des lépreux
Comme les lépreux vivaient des pieuses aumônes des fidèles, il leur était enjoint de se conduire dévotement et honnêtement entre eux. Ils portaient des vêtements d’une couleur peu voyante, d’une laine peu précieuse, qui n’étaient ni rouges, ni verts, ni trop longs, ni trop courts. Le port d’armes leur était interdit, mais à la place, chacun avait suspendu à sa ceinture un chapelet d’au moins 25 pater. Les hommes, dans leur vie, leurs mœurs, leur contenance devaient se conformer aux clercs, les femmes aux religieuses. Toutes les chambres avaient quelque image de dévotion, celle de la Vierge Marie, ou un crucifix. Chaque lépreux devait dire dans la journée 27 pater et 27 ave. Si l’un d’eux manquait à cette règle, on lui retenait un gros pour chaque fois, lors de la distribution des portions. Toutes les années, les lépreux devaient communier 4 fois, à Pâques, Pentecôte, l’Assomption et Noël, et se confesser à leur curé dans l’église paroissiale, si cela était possible, si non dans la chapelle de la léproserie. S’ils se refusaient à remplir ce devoir, ils étaient punis d’une amende de 2 gros, et mis en prison jusqu’à ce qu’ils y eussent satisfait. Les jours de fête, et même les autres jours, les lépreux de Carouge allaient entendre la messe à Saint-Léger ; ils y avaient de l’eau bénite à part et un lieu à l’extrémité de l’église fermé et garni de fenêtres grillées pour qu’ils pussent voir et entendre le service. Si le lépreux était prêtre, et que chez lui la maladie ne fût pas trop repoussante, il pouvait dire la messe, avec un calice et des ornements séparés, et on ne pouvait le lui interdire. Il devait alors avoir apporté son calice au moins d’étain, si ce n’était d’argent. – Nul lépreux ne pouvait introduire dans sa chambre une femme, si ce n’était la sienne, ou celle de l’économe, qui ne devait y rester que le temps strictement nécessaire à son service. L’établissement des hommes était complètement distinct de celui des femmes, et ils ne pouvaient avoir entre eux aucune conversation secrète sous peine d’un jour de prison au pain et à l’eau. Le lépreux marié pouvait recevoir sa femme dans un lieu convenable, voisin de la léproserie, mais dans ce cas il ne pouvait rester plus de 3 heures hors de la maladière. Dans tous autre cas, la permission du curé était nécessaire pour sortir, un terme bref pour rentrer était fixé, et celui qui aurait contrevenu eût été condamné pour chaque fois à 3 jours de prison au pain et à l’eau et à 3 gros d’amende. Il n’y avait que deux exceptions à ce règlement. Les lépreux pouvaient sortir sans permission pour aller entendre la messe à Saint-Léger et non ailleurs, ou pour aller vers l’évêque ou l’official, lorsque la défense de leurs droits ou de ceux de l’établissement les y appelait. – Tout lépreux célibataire qui avait manqué aux lois de la continence était puni d’un jour de prison au pain et à l’eau et de 2 gros d’amende. Comme les lépreux réunis dans une léproserie faisaient collège et chapitre, et comme tout ce qui intéressait la maladière devait être traité par eux capitulairement et collégialement, toutes les fois que pour l’avantage de l’établissement il fallait agir, délibérer, traiter, le curé et l’économe étant convoqués on sonnait pendant quelque temps la cloche de la chapelle, où se rassemblait toute la communauté, et qui était considérée comme le lieu chapitral. Tous les lépreux réunis et assis entendaient alors le cas proposé par le curé, l’économe ou le prieur, et chacun, à commencer par le curé, donnait en son ordre son vote selon Dieu et sa conscience. Si un des lépreux était assez infirme pour ne pouvoir se rendre au chapitre, il commettait son vote à un autre lépreux, et ce que la majorité décidait était observé. Si les votes étaient égaux, l’official de la cour genevoise, assisté de l’avocat et du procureur des pauvres, décidait en dernier ressort. Les objets qui se traitaient en chapitre étaient, par exemple, l’élection du prieur et de l’économe ; les réparations à faire à l’établissement, les locations, les abergements, les inféodations, la révision des comptes, des revenus et des propriétés, et en général tout ce qui touchait la communauté. Toute décision prise autrement eût été nulle et vaine, et toutes les fois qu’il s’agissait de recette et de dépense, de la manutention de l’argent ou de l’administration des biens, la présence du trésorier était nécessaire. Le jour de la fête du patron de la chapelle, le chapitre des lépreux, après avoir convoqué le curé, le procureur des pauvres, le trésorier et l’économe, élisait, parmi les malades, un homme qui fût capable d’être leur prieur, et à qui l’on confiait les clefs de l’arche des écritures, de la chambre des grains et du tronc. Il jurait de garder fidèlement les clefs, et de noter sans y manquer toutes les fois que le curé aurait négligé son devoir dans le service divin, et que les lépreux auraient enfreint les ordonnances. Le prieur était rééligible. – Une fois le lépreux reçu dans une léproserie avec les formalités requises, il ne pouvait en changer ou aliéner ce qu’il avait apporté, et s’il acquérait quelque chose après son entrée, tout revenait à l’établissement, suivant la règle des couvents. Si cependant ce gain était le fruit du travail de ses mains, il pouvait en disposer. Si on léguait à un lépreux quelque bien meuble ou immeuble, il en était usufruitier, mais ne pouvait aliéner. Si spécialement et expressément on lui donnait de l’argent ou des vivres, il pouvait s’en servir comme bon lui semblait, mais si le donateur ne faisait aucune condition, l’argent était mis dans le plot, et les vivres dans l’arche aux provisions communes. Le lépreux qui se serait approprié ce qui lui aurait été remis dans ce dernier cas, aurait été considéré comme parjure, et condamné à restituer le double. Lorsqu’un lépreux était en danger de mort, l’économe et les autres lépreux devaient avertir le curé, qui venait le confesser, le faire communier et lui donner l’extrême-onction. On ensevelissait les corps dans le cimetière de la chapelle, ou dans celui de la paroisse de Saint-Léger, si le malade en avait manifesté le désir, mais pas ailleurs. Le lépreux ne pouvait disposer par testament de la portion de ses biens qu’il avait apportée avec lui dans l’établissement. Le curé et l’économe, assistés d’un notaire, et en présence du procureur des pauvres, du trésorier et des lépreux, en faisaient un inventaire, et tout demeurait à la maladière, sauf les vêtements et les ustensiles qui étaient divisés entre les lépreux, ou restaient dans la chambre occupée par le défunt, si cela était jugé plus utile. ———
Les chambres des lépreux étaient toutes semblables, munies d’une cheminée, et ornées en dehors, au-dessus de la porte, de l’image d’un saint. Il y avait dans chaque établissement une chambre pour les hôtes, une autre pour les grains. Dans la chapelle un banc était réservé pour les personnes saines qui voulaient y entendre l’office. Telles sont les notions que nous possédons sur les lépreux et les léproseries de Genève. Deux choses frapperont sans doute à la lecture de cet exposé. On sera surpris des droits nombreux qu’acquéraient les membres de la communauté par le fait de leur admission dans la léproserie. Ces droits étaient-ils respectés ? Le sort des lépreux n’était-il point souvent aggravé par la violation des garanties que les ordonnances leur accordaient ? Leurs biens n’étaient-ils point souvent distraits pour d’autres usages que ceux que leur fondation leur assignait ? Cela arrivait sans doute, et l’édit de réformation le prouve. Mais toujours est-il que par principe on leur accordait, comme en compensation du pouvoir que la société se reconnaissait de les isoler en les privant de leur liberté, des privilèges que les autres citoyens ne possédaient pas, et un système représentatif complet. La seconde observation que l’on peut faire, c’est que nulle part, on ne parle ni des devoirs du médecin, ni de sa présence nécessaire dans un établissement destiné à des malades, ni des soins médicaux qu’auraient été obligés de prendre les lépreux. L’on ne prévoit même pas le cas où le lépreux guéri de son mal peut rentrer dans la société, et aucune formalité à remplir n’est indiquée dans cette hypothèse. Il est donc bien probable qu’on ne séquestrait avec les cérémonies que nous avons décrites, que les patients qui ne pouvaient plus cacher leur mal, chez lesquels il était invétéré, qui avaient épuisé avant d’être signalés aux magistrats, toutes les ressources de l’art, et qui alors étaient regardés comme incurables.
LE BOIS DE VINÉIl ne vaut sans doute pas, aux points de vue de l’esthétique et de la poésie, les forêts de Brocéliande, celle de Fontainebleau ni la Sologne du Grand Meaulnes ; ni pour la grande Histoire, celles de Rossignol ou de Luchy. C’est la forêt contiguë à La Haisse, ancienne léproserie ou maladrerie. Les ladres (ou lépreux) vivaient à part des autres « pauvres malades », c’est-à-dire presque contre la forêt. Pour se l’imaginer, il faut faire abstraction de la route qui est le fruit de l’énorme tranchée creusée à travers la colline. Anciennement, venant de Tohogne, on grimpait vers La Haisse, par ce qui subsiste sous le vocable : chemin du facteur. Chemin du Tige traversant tout le Bois de Viné. Il mène promeneurs, chasseurs et bûcherons de « La Haisse » à la grand-route Palenge-Borlon. Cette forêt, avec la crête schisteuse, a constitué, il y a longtemps, une vraie délimitation de juridiction entre les comtes de Namur et ceux de Luxembourg. Faisons un rappel historique. Entre 1063-64 et 1147, la Terre de Durbuy a été tenue successivement par trois comtes de Durbuy, de la famille de Namur, la terre étant un alleu, c’est-à-dire propriété de la famille de Namur (et non comme on l’a trop longtemps pensé, un fief). Henri de Namur fut le dernier comte de Durbuy en tant qu’alleutier (et fils de ce Godefroid qui a été inhumé dans l’église de Tohogne avant 1124). La Terre de Durbuy retourna, sans héritiers directs, au cousin Henri II l’Aveugle, comte de Namur. Triste période pour Durbuy, le comte n’ayant ni sens politique, ni sens de la paix : en 1151, en bagarre avec l’évêque impérialiste de Liège, Henri de Leez, il est défait à Durbuy et le château est incendié. Même tristesse en ménage : il se marie une troisième fois avec Agnès de Gueldre qu’il répudie en 1182 et reprend en 1185. Et tout vieux, il voit naître une fille : Ermesinde, qu’il s’empresse de faire fiancer, à l’âge d’un an (sic) à Henri II de Champagne destiné à recevoir l’héritage namurois. Déceptions, batailles encore et échecs en cascade. Octogénaire déclinant, Henri l’Aveugle désirant rejoindre son père à Floreffe, se décide à céder la dîme et le patronage de l’église de Tohogne (et de Durbuy alors) à l’abbaye norbertine si chère à la maison de Namur. Un des aspects du Bois de Viné (automne 2007). A bien des endroits, cette forêt est fort aérée ; feuillus et conifères sont intiment mêlés. Trois ans avant la naissance-surprise d’Ermesinde, en 1183, Henri II de Namur avait cédé à son neveu Baudouin (de Hainaut) Durbuy et les revenus de la Terre. Thibaut rentre en possession du Luxembourg et se rapproche du marquis de Namur, Baudouin VI. Et c’est le fameux Traité de Dinant : Thibaut de Bar obtient Laroche et Durbuy, de même ce qui constituera la Prévôté de Poilvache, c’est-à-dire la partie du Comté de Namur depuis la forêt d’Arche jusque vers l’Ardenne. Philippe de Namur conservait toute « la forêt d’Arche et la terre qu’elle contenait jusqu’à la Meuse ». C’est précisément cette dernière région qu’Ermesinde a toujours espéré récupérer et a réclamée avec force. Tout cela pour retenir l’expression employée pour déterminer cette région revendiquée : en 1237 « … la terre ki est entre Vinei et mouse » ; (1243) « … s’il avenoit que la terre qui est entre Viney et Mueuse revenoit à nos ou une partie de la terre… ». En 1252, encore même appel des engagements au cas où « la terre ki est entre Vingni et Mueuse revenoit à nos… ». Persistante revendication ! Notre propos actuellement n’est pas de l’appuyer, mais de reconnaître ces mots : Viney, Vingni, Vinei… ; il s’agit bien de notre forêt de Viné. Et dire qu’il y a eu des auteurs très sérieux qui, embarrassés par cette orthographie, ont supputé en note : « peut-être Vignée, Vigneux ? ». La chose est pourtant si claire ; mais il faut sortir de son bureau ! De près de 400 arpents (200 ha), cette forêt a toujours été jalousement défendue par les seigneurs de Durbuy. Et c’est une limite, non seulement anciennement politique, mais naturelle aux points de vue altitude, géologie, bassins des eaux et partage des… orages. Encore naguère et maintenant (moins peut-être), on disait « Un orage arrive sur Viné, il va se diriger ou sur l’Ardenne ou sur Meuse ». C’est un point facile pour l’orientation et la localisation. En 1534, pour le dénombrement des fiefs de la Terre de Durbuy, Jean de Longueville, l’aîné, affirme tenir d’un seigneur de Durbuy, les fiefs de Longueville et d’alentour, savoir « au lieu qu’on dit : èn aulleury » deux bonniers de bois, touchant vers Ardenne au bois de Bomal, vers Meuse aux remanants Englebert de Presseux, etc. Viné, depuis toujours ligne de partition à tous points de vue. Sur la crête condruzienne, au-dessus des villages de Palenge et Borlon, un arbre énorme (faisant plus de 4 m de circonférence et ayant une hauteur de 24 m) se détache, vu de partout à la ronde ; c’est le hêtre à Viné, hèsse à Viné, situé à la lisière du Bois de Viné. C’est un arbre reconnu remarquable. Chemin (longeant Viné) qu’empruntaient les lépreux de La Haisse pour se rendre à « l’eau miraculeuse » de Sainte-Geneviève (Palenge). Bois de Viné, forêt… sacrée presque. En son contrebas, vers le petit chemin qui va vers Palenge, une eau limpide et guérisseuse au site de Sainte-Geneviève, jadis lieu de pèlerinage. Tout cela, c’est notre Viné. Source principale : « Glanes d’Histoire familiale et rurale », article rédactionnel paru dans « Le Messager du Condroz » le 3 juillet 1977, par Jean-Clair Aignan (Abbé Germain Ninane).
LE CHALET DE CHASSE DU BOIS DE VINÉ
A une époque qui nous est inconnue, le duc d'Ursel fit bâtir un pavillon de chasse dans l’un de ses bois, entre Palenge, Borlon et Tohogne. Ce pavillon de chasse appelé « le Chalet de Viné » était occupé par le garde-chasse et sa famille. Il fut construit au moyen de briques fabriquées et cuites sur place, à 500 m environ du hêtre à Viné, là où le sentier dit « Sentier des Récollets » arrivant de Durbuy venait se greffer sur le « Tige de Dinant ». Cette construction comportait une grande salle de réunion avec feu ouvert et vestibule au rez-de-chaussée et deux appartements à l'étage. Une grange et une écurie complétaient le tout. Le 16 août 1892, le régisseur du Domaine, Jean-Jacques Rousseau, fit procéder à l'adjudication au rabais du transport de 400 m3 environ de moellons et pierrailles à déposer sur les accotements des routes nouvellement construites dans le Bois de Viné. Le comte Adrien d'Ursel fit démolir le chalet en novembre 1928 pour raisons de sécurité vu son isolement et le régisseur vint habiter dans la maison adossée au château. En 1917, le régisseur Georges Depasse habitait à Durbuy dans la maison sise au pied du château, ce qui laisse à penser que le chalet n'était plus habitable. Il fut sans doute quelque peu aménagé car, en 1951, la chasse de Viné et des bois voisins fut louée « avec jouissance du pavillon de chasse ». Le 30 septembre 1937, la chasse sur Septon et Tohogne (287 hectares) fut louée pour 4.000 F à M. Corneille Van Puyenbroeck de Knokke, pour une durée de 9 ans. La chasse du bois de Viné était réputée, à l'époque, comme une des meilleures chasses pour le chevreuil. Elle abondait également en lièvres, lapins, faisans et bécasses. La chasse en plaine aux perdreaux était excellente. Les chasses à courre cessèrent au début du siècle dernier. Les chevaux de selle et de chasse à courre, les piqueux et leurs chiens étaient logés dans les locaux de la Halle au Blé à Durbuy à proximité du château. A cette époque, on chassait tous les jours, sans interruption, de septembre à décembre. L'équipage poursuivait surtout le lièvre, rarement le sanglier et le chevreuil. Les bêtes mourrait généralement d'épuisement, sinon le gros gibier était mis à mort à la dague. Source : « De l’équipage de Durbuy au Débuché de l’Ourthe », monographie écrite par Joseph Bernard.
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